Communiqué de presse

Pompiers volontaires de Nivelles : une hirondelle ne fait pas le printemps

Ce 20 janvier en soirée, la Cour du travail de Bruxelles a rendu un arrêt dans un litige opposant la Ville de Nivelles et une trentaine de pompiers volontaires relativement à des gardes à domicile. Si cet arrêt concerne une situation du passé et ne remet pas fondamentalement en cause l’organisation des zones de secours en vigueur depuis le 1er janvier 2015 et le recours aux pompiers volontaires, la décision contient en germe bien des risques, et pas que pour les villes et communes.

Le contexte

L’affaire concerne une trentaine de pompiers volontaires de Nivelles qui réclament le paiement de leurs gardes à domicile au même titre que du temps de travail. En d’autres termes, il s’agit de déterminer si les heures passées par ces pompiers volontaires à vaquer à leurs occupations à domicile, voire à dormir lors de gardes de nuit, selon des contraintes a priori connues et acceptées lorsqu’ils se sont engagés comme pompiers volontaires, doivent être rémunérées comme des prestations effectives en intervention.

Ce contentieux se rapporte à des faits antérieurs à l’opérationnalisation de la réforme de la sécurité civile, notamment sur le plan du régime des volontaires, ainsi qu’à des cas propres au service d’incendie de Nivelles tel qu’organisé avant 2009, soit bien avant la création des zones de secours au 1er janvier 2015.

Position de la Cour de Justice européenne

La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a déjà élaboré une jurisprudence relative aux gardes selon laquelle les gardes sur le lieu de travail doivent être comptabilisées comme temps de travail, à l’inverse des gardes à domicile qui ne le sont pas, à l’exception des périodes de prestations effectives (arrêt Simap).

Le 21 février 2018, saisie d’une question préjudicielle par la Cour du travail de Bruxelles, la CJUE a été amenée à déterminer si les contraintes s’imposant aux pompiers volontaires de Nivelles, lors de leurs gardes à domicile, à l’époque des faits litigieux, ne doivent pas amener à considérer que les heures de gardes en question s’apparentent à des prestations effectives et constituent dès lors du temps de travail au sens de la directive européenne.

La CJUE a défini comme critère l’importance des limitations aux possibilités d’avoir d’autres activités découlant de ces contraintes, et non la simple existence de telles limitations. Sur cette base, elle a considéré que l’obligation pour le travailleur de rester à son domicile pendant le rôle de garde qui lui est attribué, d’y répondre aux appels de son employeur et de rejoindre son lieu de travail dans un délai de 8 minutes restreint très significativement les possibilités d’avoir d’autres activités, au point de devoir considérer le temps de garde ainsi contraint comme du temps de travail.

Cependant, la CJUE n’a pas déterminé si, spécifiquement pour les pompiers volontaires de Nivelles, ces contraintes étaient bien présentes au point de devoir considérer les gardes comme du temps de travail. Elle a renvoyé l’affaire au juge national.

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles

Il revenait donc à la Cour du travail de Bruxelles de vérifier in concreto, dans les hypothèses nivelloises concernées, si les intéressés devaient être considérés comme des travailleurs au sens de la directive et si les gardes effectuées constituaient bien du temps de travail, au regard des réponses apportées par la CJUE, dans son arrêt du 21 février 2018. C’est cet arrêt qui a été rendu en ce 20 janvier 2020.

L’UVCW a analysé l’arrêt sous l’angle de ses possibles conséquences sur le régime des pompiers volontaires, qu’elle considère comme essentiel à l’organisation de la sécurité civile en Wallonie. De nombreux services de secours européens, notamment en France, en Allemagne, et aux Pays-Bas, reposent également largement sur le régime des volontaires, et sont tout autant concernés par cette jurisprudence, qui ne concerne d’ailleurs pas que les pompiers, mais potentiellement TOUS les secteurs dans lesquels des gardes sont organisées.

Notre lecture de l’arrêt : une hirondelle ne fait pas le printemps

Après avoir rappelé les réponses apportées par la CJUE à ses questions, la Cour tire la conclusion que les gardes, telles qu’elles ont été décrites au juge, « imposent des contraintes fortes d’un point de vue géographique et temporel, limitant les possibilités du pompier volontaire de se consacrer à ses intérêts personnels et sociaux ». La Cour, pour en venir à cette conclusion, a jugé bon de tenir compte de l’impossibilité de s’éloigner fortement de la caserne ou de se livrer à une activité que le pompier ne pourrait pas interrompre, mais aussi « de l’impossibilité de consommer des boissons alcoolisées au-delà du taux d’alcoolémie légal » (sic).

Dès lors, la période d’astreinte constitue du temps de travail. Se pose alors la question de son indemnisation. Sur ce point, la Cour conclut que les pompiers volontaires, à défaut de disposition spécifique visant la rémunération de leurs périodes d’astreinte, doivent se voir appliquer la disposition du statut pécuniaire applicable aux agents de la Ville de Nivelles relative à l’allocation pour garde à domicile.

Pour l’UVCW, l’arrêt rendu hier vise à déterminer si les astreintes effectuées par les pompiers volontaires de Nivelles, avant la mise en œuvre des zones de secours, doivent ou non constituer du temps de travail. Cet arrêt répond à une demande précise et tout en se basant sur la même jurisprudence européenne, un autre juge, belge ou étranger, pourrait en venir à la conclusion que les astreintes effectuées par les pompiers volontaires ne doivent pas être considérées comme du temps de travail car ne présentant pas des contraintes telles qu’elles restreignent significativement la possibilité pour ces pompiers de se consacrer à une autre activité. Pas de conclusion hâtive dès lors, une hirondelle ne fait pas le printemps.

Risques pour le service public de la sécurité civile : l’enfer est pavé de bonnes intentions

Considérer, par principe, les gardes à domicile comme du temps de travail à rémunérer au même titre que les prestations, remet en question la possibilité d’organiser de telles gardes et in fine, le recours même aux pompiers volontaires, alors que la professionnalisation intégrale des services d’intervention n’est pas justifiée sur la majorité du territoire et s’avère tout bonnement impayable.

Par ailleurs, cet arrêt pourrait donner des idées à de nombreuses personnes qui prestent des gardes et souhaiteraient se faire rémunérer en contrepartie.

Au-delà du cas des pompiers volontaires, bien des professions pourraient être concernées…

La position de l’UVCW concernant les pompiers volontaires

L’UVCW tient à conserver le système des pompiers volontaires. Au vu des besoins, la professionnalisation généralisée des pompiers ne semble pas nécessaire en termes d'organisation de la sécurité civile, notamment dans les zones rurales (où le mélange entre volontaires et professionnels doit subsister). Elle est du reste financièrement intenable: en 2011, l'UVCW l'avait chiffrée à 200 millions € par an, rien que pour la Wallonie.

L’UVCW a salué l’arrêt de la CJUE de février 2018 comme étant équilibré et nécessitant de bien peser le poids des contraintes effectives de la garde pour la requalifier en temps de travail (les systèmes de gardes ont été revus ces dernières années pour plus de souplesse).

L’UVCW souhaite que les pompiers volontaires soient justement indemnisés et qu’un système d’indemnités généralisé pour gardes soit inscrit dans une loi. Cette demande formulée en  2019 avec les Unions des Villes et communes flamande (VVSG) et bruxelloise (Brulocalis) dans leur Mémorandum fédéral, permettrait d’avoir une indemnisation pour les gardes, différente de (et inférieure à) celle des prestations.

Contact: Michel L'Hoost (0496/50 99 45 ou mlh@uvcw.be) 

 
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