Le Fédéral communique sur le ratio officiel de financement fédéral - local… mais où reste le calcul officiel des surcoûts de la réforme incendie ?
Au cours du mois d’avril 2024, toutes les zones de secours du pays, dont les 14 zones wallonnes, ont reçu de la part du SPF Intérieur un courrier les informant officiellement de la situation de leur « ratio fédéral / local » pour les dépenses en matière d’incendie. Mais cela veut dire quoi, concrètement ? Penchons-nous sur l’interprétation à donner à ce fameux « ratio ».
A la lecture du courrier qu’ils ont reçu, les responsables zonaux se sont peut-être interrogés sur ce que signifiait cette communication, sur le ratio qui leur est propre, et surtout sur ses conséquences concrètes.
A celles et ceux qui, peut-être un peu trop optimistes de nature, y ont vu le calcul de ce que la Fédéral allait leur verser en plus, à titre de remboursement des surcoûts de la réforme incendie de la loi du 15 mai 2007 (mis en œuvre en 2015 avec la création des zones), nous devons hélas leur demander de renoncer à leurs espoirs immédiats, et à retomber dans la pénible réalité de la situation budgétaire de l’Etat.
Rapidement dit pour les lecteurs pressés par le temps : ledit ratio communiqué en cette fin de législature n’est autre qu’un calcul « comptable », sans aucun effet direct, mais remplissant une des conditions mises à l’application de l’article 67 al. 2. de ladite loi (celui-là même qui institue le désormais mythique « 50/50 » en incendie), lequel article n’est toujours pas assorti de l’arrêté royal qui calculerait – et prévoirait de rembourser aux zones, ou plutôt aux communes – les surcoûts liés au fonctionnement en zones.
A ce propos, un petit rappel juridique et historique s’impose.
L’article 67, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007 relative à la Sécurité civile (ci-après LSC), dispose que :
« Aussi longtemps que le ratio entre les moyens des autorités communales et fédérale prévus en application de cette loi, n’est pas égal à un, les communes d’une zone ne devront pas, ensemble, contribuer davantage en termes réels que leur apport actuel. Le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, après avoir entendu les représentants des villes et communes, ce ratio au 31 décembre 2007 ainsi que les postes de revenus et des dépenses qui entrent en ligne de compte pour calculer ce ratio ».
Ce texte dit en substance que la réforme incendie doit être budgétairement neutre pour les communes (du moins, au niveau de chaque zone de secours), tant que le Fédéral ne met pas autant sur la table que ces communes, pour financer chaque zone.
Autant dire qu’on en est encore loin à ce jour: autour de 75% – 25%, respectivement pour les pouvoirs locaux (en ce compris, en Wallonie, les provinces) et le Fédéral.
Or, pour être appliqué, l’article 67 al. 2 devait être assorti d’(au moins) un arrêté royal, ce qui n’a jamais été fait par les gouvernements fédéraux successifs depuis 2007, et ce malgré nos revendications et actions multiples, au fil des années.
Pour schématiser, un tel arrêté royal est censé, en tout logique :
- déterminer comment calculer, et ensuite calculer effectivement, le ratio de dépenses précité, afin de vérifier si et quand on atteint le fameux 50/50 entre Fédéral et local ;
- ayant constaté que le ratio pas (encore) « égal à 1 » (autrement dit, le « 50/50 »), le texte devrait également déterminer comment calculer, et ensuite calculer effectivement, les surcoûts générés par le passage en zones (et les surcoûts maintenus ou ajoutés par la suite).
Enfin, sur base du calcul ainsi effectué, il resterait au Fédéral à rembourser aux communes les surcoûts en question.
Hélas, les choses ne se sont pas déroulées comme on pouvait s’y attendre, ni en 2007, ni en 2008, ni en 2012, ni même 15 ans après l’adoption de la loi incendie. L’arrêté royal ne fut jamais pris de la propre initiative des autorités fédérales !
Il a en effet fallu une action en justice de la part d’une zone de secours wallonne, et un jugement du Tribunal de 1ère Instance de Namur en septembre 2021, condamnant l’Etat belge à adopter dans les 9 mois l’arrêté royal en question, sous peine d'astreintes, pour enfin faire bouger les choses au Fédéral.
Victoire des zones par le biais de la justice ?
Plutôt une victoire à la Pyrrhus, hélas !
En effet, le texte réglementaire en question s’est limité à prévoir les règles permettant de calculer :
1° le ratio des dépenses des services d’incendie à charge des communes d’une part et de l’Etat fédéral d’autre part au 31 décembre 2007,
2° les postes de revenus et de dépenses permettant de déterminer ce ratio au 31/12/2007 mais également pour le futur.
En d’autres termes, le volet du calcul des surcoûts eux-mêmes a été complètement omis !
L’article 5 de ce texte prévoit que :
« Le calcul du ratio pour les années postérieures à l'année 2007 […] est effectué sur la base des données relatives à l'année qui précède celle au cours de laquelle les élections législatives se tiennent.
Le résultat du calcul résultant de l'alinéa 2 est communiqué par courrier aux zones ».
Et c’est sur cette base que les zones de secours du pays viennent de recevoir ce fameux courrier… qui n’a donc, dans l’état actuel de la législation, aucun effet juridique ni financier quel qu’il soit !
Le ratio général tel qu’il a été communiqué à cette occasion est de 71,5% local / 28,5% fédéral, même s'il varie légèrement selon les zones (voyez le PDF ci-annexé).
Il s’agit, qui plus est, d’une image un peu trop favorable au fédéral, mais relativement proche tout de même du ratio calculé par la dernière étude de notre association sur le financement des zones de secours. Le calcul a en effet été réalisé selon les critères retenus par l’arrêté royal en question, critères sur lesquels notre association avait rendu un avis très critique, ce qui ne l’a pas empêché d’être adopté.
Cela étant, les discussions sur ces critères n’ont que peu d’influence sur le ratio en question, qui tourne donc actuellement autour de 75% local - 25% fédéral. Or, depuis 2022, ce ratio repart dans le mauvais sens : la part locale réaugmente par rapport à la part fédérale !
Afin de bien saisir toutes les subtilités et la complexité du dossier du « 50/50 », il est nécessaire de garder également à l’esprit que :
- le ratio en question résulte du calcul des dépenses tel que prévu à l’arrêté royal du 27 juin 2022. L’ensemble des dépenses des communes d’une zone ne correspond pas à la somme des dotations des communes à la zone de secours pour l’année 2023. Il s’agit des dépenses des communes au 31/12/2007, indexées au 31/12/2023 ;
- les dépenses de l’Etat fédéral comprennent les crédits de l’Etat fédéral pour les postes visés à l’article 3 de l’arrêté royal du 27 juin 2022, et pas uniquement les dotations fédérales aux zones ;
- s’agissant des dépenses fédérales actuelles au profit des zones (les dotations) , elles n’ont fait qui suivre la trajectoire budgétaire décidée par le gouvernement en octobre 2020, en tenant compte, de surcroît, de la décision du gouvernement d’appliquer une économie linéaire sur tous les crédits fédéraux à partir de 2022. A l’inverse, et compte tenu de l’inflation ayant provoqué une augmentation importante des coûts de l’énergie notamment, le gouvernement a décidé une augmentation ponctuelle et limitée à l’année 2023 des dotations fédérales. Il en résulte que les dotations fédérales aux zones de secours ont évolué comme suit entre 2020 et 2024 (les montants sont exprimés en keuros) :
Année |
Montant initial |
Décision oct.2020 |
Montant après économie linéaire |
Indexation unique |
total |
2020 |
152.064 |
/ |
/ |
/ |
152.064 |
2021 |
152.064 |
+25.000 |
/ |
/ |
177.064 |
2022 |
177.064 |
+10.000 |
+8.312 |
/ |
185.376 |
2023 |
185.376 |
+2.000 |
+312 |
+18.000 |
203.688 |
2024 |
185.688 |
+5.000 |
+3.312 |
/ |
189.000 |
Quant au calcul des surcoûts eux-mêmes, il est resté dans les limbes à ce jour : une étude fédérale devait être lancée en 2022 à ce sujet, avant la constitution d’un groupe de travail sur le sujet ; or, le marché public lancé dans ce but par la Ministre n’a jamais abouti...
Ainsi, le calcul de ratio reçu par les zones est un non-événement, et la question brûlante des surcouts incendie devra donc être portée à nouveau devant le prochain Ministre de l’Intérieur, comme nous l’annoncions dans notre Mémorandum fédéral (p.7).