La réforme du droit des biens est entrée en vigueur
Le Parlement fédéral s’est lancé dans la réécriture du Code civil, vieux de plus de 200 ans. C’est dans le cadre de ces travaux que la loi du 4 février 2020 portant le Livre 3 « Les biens » du Code civil a été adoptée. La majorité des dispositions qu’il contient sont entrées en vigueur au 1er septembre 2021.
Au travers du Livre 3, le législateur entend mettre le Code civil au gout du jour, en opérant une modernisation de certaines dispositions et leur réécriture. Il opère également un grand nombre d’évolutions.
Le Livre 3 rassemble en outre un ensemble de dispositions contenues jusqu’à présent dans différentes législations comme les lois du 10 janvier 1824 sur le droit d’emphytéose et le droit de superficie, la loi hypothécaire ou encore les dispositions du Code rural concernant les servitudes et le bornage.
Des pans entiers de la gestion du patrimoine sont donc concernés. Les articles du Livre 3 impactent donc les droits et obligations des particuliers et autorités publiques au quotidien : classification des biens (en ce compris ceux du domaine public), prescription acquisitive, droit de propriété, copropriété, troubles de voisinage, mitoyenneté, servitudes, usufruit, emphytéose et superficie, publicité foncière, etc.
Il est évidemment impossible de lister toutes les modifications qu’implique chacun des 188 articles composant ce Livre 3. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous proposons dans cet article de mettre en évidence certaines d’entre elles. Notons que l’Union des Villes et Communes de Wallonie a mis en place un atelier spécifique relatif à la valorisation du patrimoine immobilier. Pour les thématiques abordées, cet atelier intègre évidemment les nouvelles dispositions issues du Livre 3.
Par ailleurs, un webinaire sur la réforme du Code civil, passant rapidement en revue les principales modifications, sera organisé le mercredi 13 octobre, de 14 à 16h. Les informations sont disponibles sur notre site internet.
Entrée en vigueur
Le Livre 3 du Code civil est entré en vigueur au 1er septembre 2021. Une entrée en vigueur différée est toutefois prévue en ce qui concerne certains actes dorénavant soumis à la transcription au bureau Sécurité juridique (anciennement dénommé Bureau des hypothèques).
Les nouvelles règles énoncées par le Livre 3 s’appliquent aux actes et faits juridiques qui ont lieu après son entrée en vigueur. Sauf accord contraire entre les parties, le Livre 3 ne s’applique ni aux effets futurs des actes et faits juridiques survenus avant son entrée en vigueur, ni aux actes et faits juridiques qui se sont produits après son entrée en vigueur mais qui se rapportent à des droits réels découlant d’un acte ou fait juridique survenu avant son entrée en vigueur.
En d’autres termes, un contrat conclu avant l’entrée en vigueur de la réforme restera soumis aux anciennes dispositions et ce, jusqu’à son échéance. Les parties peuvent toutefois décider, de commun accord, de soumettre les effets futurs du contrat aux nouvelles dispositions.
Prescription acquisitive
La prescription acquisitive est un mode d’acquisition de la propriété par la possession prolongée d’un bien, durant un certain temps et moyennant le respect de différentes conditions[1]. En d’autres termes, l’exercice de fait, par une personne, d’un droit sur un bien, comme si elle en était le réel titulaire, permet à terme de déboucher sur l’acquisition dudit droit. Outre l’acquisition de la propriété, la prescription permet également d’acquérir un droit réel d’usage, à savoir une servitude, un droit d’usufruit, d’emphytéose ou de superficie.
En droit immobilier, l’exemple de l’acquisition de la propriété par prescription acquisitive est le plus classique. Ainsi, lorsque A se comporte comme s’il était le propriétaire d’une parcelle appartenant à B, sans équivocité sur ses intentions, A pourrait à terme se revendiquer être le véritable propriétaire de cette parcelle. Le législateur considère en effet que B s’est désintéressé de son bien en n’intentant aucune action visant à mettre fin à la possession et aux intentions de A. B perd donc sa propriété, au profit de A. Soulignons que de nombreuses servitudes naissent également par l’effet de la prescription (v. plus loin).
Ce mécanisme existait dès l’origine du Code civil. Citons deux modifications importantes apportées par le Livre 3.
Tout d’abord, il est dorénavant explicitement prévu que le possesseur (celui qui revendique la prescription) peut introduire une action en justice pour constater les effets de la prescription acquisitive (art. 3.26, al. 2). Ainsi, si la commune estime avoir prescrit la propriété d’un bien appartenant à l’origine à un tiers (le verus dominus), elle pourrait valablement agir en justice pour faire constater son droit, sans attendre que ce tiers ne se manifeste.
La jurisprudence récente tendait déjà à admettre cette faculté dans le chef de celui qui prescrit. Le Livre 3 confirme dorénavant explicitement celle-ci. Cette modification n’est pas anodine, notamment dans le cas de voiries dont la commune estimerait avoir acquis par prescription la propriété de l’assiette.
La seconde modification d’importance concerne les délais pour prescrire (art. 3.27, al. 1 en particulier). En matière immobilière, le délai par défaut est dorénavant de 10 ans. Il est porté à 30 ans en cas de mauvaise foi du possesseur, lors de l’entrée en possession. Précisons que le possesseur de bonne foi est celui qui peut légitimement se croire titulaire du droit qu’il possède. La bonne foi est par ailleurs présumée, sauf preuve contraire[2]. Soulignons que, pour l’application du délai de 30 ans, il sera apprécié la mauvaise foi du possesseur uniquement lors de sa prise en possession.
Avant la réforme, le délai de prescription était de 30 ans sauf si le possesseur de bonne foi disposait d’un titre juste (acte de vente, testament, …), auquel cas le délai était ramené à 10 ou 20 ans. L’exigence d’un titre juste n’est donc plus requise à l’avenir pour bénéficier du délai de 10 ans.
Ces nouveaux délais de prescription ne commencent à courir qu’au jour de l’entrée en vigueur de la réforme, à savoir le 1er septembre 2021. Le législateur a cependant prévu des dispositions transitoires concernant ces délais.
Lorsque le délai pour prescrire a commencé à courir avant le 1er septembre 2021, les nouveaux délais de prescription (prévu par le Livre 3) ne courent qu’à partir du 1er septembre 2021, sans que la durée totale du délai ne puisse excéder celle applicable avant l’entrée en vigueur de la réforme.
Par exemple, dans un dossier où le délai de prescription était initialement de 30 ans et, dès le 1er septembre 2021 et selon le Livre 3, de 10 ans :
- le délai sera considéré comme écoulé en 2025, si la possession utile a débuté en 1995 ;
- la prescription sera acquise au 1er septembre 2031, si la possession utile a débuté en 2019.
Domanialité publique
Parmi les dispositions portant sur les différentes catégories de biens, l’article 3.45 du Code civil concerne les biens publics. Cet article prévoit expressément le principe selon lequel les biens publics font en principe partie du domaine privé de l’autorité. Le domaine public demeure l’exception.
Il n’est pas inutile de rappeler que les contours de la domanialité publique sont complexes à tracer. Au vu du nombre et de la variété des décisions jurisprudentielles, il s’avère périlleux d’établir une définition claire, uniforme et unanime. Bien qu’initialement prévue dans la proposition de loi, on appréciera qu’aucune définition de la domanialité publique n’a finalement été retenue par le législateur. L’absence de toute définition permet d’éviter de remettre en cause le statut des biens considérés actuellement comme en faisant partie.
Le nouvel article 3.45 précise toutefois les conséquences de la domanialité publique. Il énonce expressément que le domaine public est imprescriptible. Il précise également qu’il "peut exister un droit personnel ou réel d’usage sur un bien du domaine public dans la mesure où la destination publique de ce bien n’y fait pas obstacle ». On vise notamment la possibilité de conclure un contrat de bail, une servitude, un droit de superficie ou d’emphytéose sur le domaine public. Comme le mentionne le commentaire des articles, "on insistera par ailleurs sur l’emploi de la formule « il peut exister » employée dans l’article qui permet d’inclure une constitution par acte juridique mais également, le cas échéant, une acquisition par prescription de droits réels d’usage « compatibles »"[3].
Rappelons que l’usage du domaine public est par essence collectif. Il en découle notamment que l’autorité gestionnaire doit en tout temps en conserver la maîtrise afin de pouvoir modifier les règles d’utilisation à tout moment, lorsque l’intérêt général le requiert.
C’est la raison pour laquelle des droits précaires et révocables sont principalement octroyés sur le domaine public, par le biais d’autorisations domaniales par exemple (terrasses de café, réservation d’emplacements de stationnement, …). Depuis des années, la jurisprudence a admis certains droits plus durables sur le domaine public. Un droit de superficie peut ainsi être octroyé dans la mesure où celui-ci ne fait pas obstacle à l’usage par le public du bien[4]. L’article 3.45 parait donc s’inscrire dans la continuité de cette jurisprudence.
Biens communaux
Avant l’entrée en vigueur du Livre 3, l’article 542 du Code civil consacrait l’existence des biens communaux. Ces derniers étaient définis comme « ceux à la propriété ou au produit desquels les habitants d'une ou plusieurs communes ont un droit acquis ».
L’existence de ces biens communaux remontent à des temps immémoriaux. Loin d’être anecdotiques, de nombreux biens communaux existent en Wallonie sous différentes appellations. Ici et là, on les nommera sarts ou essarts communaux. Ailleurs, on les appellera droits d’aisance. D’autres dénominations et formes existent également.
Ces biens sont mis à la disposition des habitants sur la base de règlements particuliers soumis en règle générale au droit administratif[5]. Ces mises à disposition dérogent ainsi aux règles applicables aux biens patrimoniaux comme par exemple la législation sur le bail à ferme.
A notre grande surprise, l’article 542 du Code civil est dorénavant abrogé et les biens communaux ne font l’objet d’aucune disposition équivalente dans le Livre III. Leur consécration a tout simplement disparu !
Le législateur, tant dans l’exposé des motifs que dans le commentaire des articles, ne justifie aucunement l’absence de toute disposition dans le nouveau Code civil. Il est permis de demander s’il s’agit d’une omission de la part du législateur ou si ce dernier n’a pas sous-estimé l’ampleur et l’existence des biens communaux au 21e siècle, pourtant répandus au sein de certaines communes.
L’inexistence d’une disposition spécifique dans le Livre 3 rend l’avenir des biens communaux plus qu’incertain. A défaut d’une modification législative future, la jurisprudence aura à se prononcer sur l’épineuse question de leur persistance : soit leur régime particulier disparait, de sorte que les biens communaux deviendraient de « simples » biens du domaine privé communal (soumis le cas échéant à la législation sur le bail à ferme), soit leur régime persiste malgré l’absence d’article spécifique dans le nouveau Code civil.
Cette deuxième option n’est pas à exclure. L’encadrement des biens communaux par des règles de droit administratif pourrait justifier le mutisme du Code civil.
Rappelons toutefois que le nouveau droit des biens ne s’applique pas aux effets futurs des actes et faits juridiques survenus avant son entrée en vigueur. En d’autres termes, les biens communaux répartis avant le 1 septembre 2021 devraient en principe échapper à l’imbroglio causé par la loi insérant le Livre 3 dans le Code civil.
Objets trouvés
Le sort réservé aux meubles trouvés sur la voie publique était encadré par la loi du 30 décembre 1975[6]. C’est sur cette base qu’étaient réglés les droits et obligations des communes concernant les meubles se trouvant sur la voie publique à la suite notamment de l’expulsion d’un locataire.
Cette loi est abrogée dans le cadre de la réforme. Elle remplacée par les articles 3.58 et 3.59 du Code civil, qui s’en inspirent fortement. Notons que ces articles s’appliquent à tous les biens meubles trouvés, tant sur le domaine public que privé des autorités publiques, mais également dans les propriétés privées.
L’article 3.58 prévoit tout d’abord que la personne qui trouve le meuble « doit raisonnablement s’efforcer d’en trouver le propriétaire ». S’il ne n’y parvient pas, il doit en faire la déclaration (sans pour autant procéder à la remise) auprès de la commune de son choix, au plus tard 7 jours après la découverte. Signalons que le la loi de 1975 prévoyait une remise à la commune « sans retard ».
La commune doit tenir un registre consignant les différentes déclarations. Si la commune connaît le propriétaire, elle doit inviter ce dernier, par envoi recommandé et dans le mois de la réception de la déclaration, à venir rechercher cette chose ou le produit de vente de celle-ci. Si la chose est retrouvée dans la propriété d'autrui, le trouveur doit également informer le propriétaire dans le même délai et par envoi recommandé.
Précisons que les obligations du trouveur et de la commune ne s'appliquent pas aux biens placés en dehors d'une habitation aux fins d'enlèvement ou d'être jetés aux immondices. Elles trouveront par contre à s’appliquer aux biens que la commune a dû enlever pour des raisons de sécurité ou de commodité de passage ainsi qu’aux biens mis sur la voie publique en exécution de jugements d'expulsion.
A l’inverse de ce que prévoyait la loi de 1975, il n’y a plus d’obligation pour le trouveur de remettre l’objet à la commune. Il peut choisir soit de conserver la chose lui-même, soit de la faire conserver par la commune. En fonction, la responsabilité de la conservation de chose incombera au trouveur ou à la commune. Dans la mesure où le trouveur a le choix de la commune et dans l’hypothèse où la commune du dépôt n'est pas celle de la découverte de la chose, l’administration locale devra aviser sans délai cette dernière, qui en fera alors mention dans son propre registre.
Comme auparavant, six mois après la découverte, le trouveur ou la commune, en fonction de la personne ayant conservé la chose, « peut en disposer de bonne foi et d'une manière économiquement justifiée ». Ce délai de 6 mois connait les mêmes exceptions qu’auparavant, concernant les bicyclettes (3 mois) et les choses périssables, sujettes à une dépréciation rapide ou préjudiciables à l’hygiène, à la santé ou à la sécurité publiques.
En cas de vente, le produit de la vente est tenu à la disposition du propriétaire ou de ses ayants-cause jusqu'à l'expiration du délai nécessaire pour l'acquisition. En effet, bien que le trouveur ou la commune peut disposer du bien (en principe après 6 mois), il n’en devient pas propriétaire pour autant.
Si le bien a un propriétaire (ce qui sera en principe le cas, même si le propriétaire n’a pu être identifié), ce dernier reste propriétaire du bien et peut le récupérer. Lorsque le bien a été vendu entre temps, il en récupèrera le produit de la vente. Il devra toutefois indemniser les frais de conservation, de garde et de recherche. Le trouveur et la commune dispose d’un droit de rétention aussi longtemps que ces frais n’ont pas été payés. Le trouveur ou commune ne deviendra propriétaire qu’après 5 années à dater de la mention dans le registre et « pour autant que le propriétaire ne se soit pas fait connaitre ».
Relevons que l’obligation de déclaration existera également en cas de découverte d’une chose cachée dans son propre bien ou d’un bien sans propriétaire. L’article 3.59 prévoit toutefois un régime quelque peu différent en ce qui concerne leur propriété. Enfin, précisons que l’article 3.59, par. 4 prévoit que « le trouveur qui ne devient pas propriétaire et qui a rempli les obligations qui reposaient sur lui a droit, de la part du propriétaire, à une récompense raisonnable eu égard aux circonstances ».
Accès aux terrains non clôturés
L’article 3.67, par. 3 du Code civil peut paraitre de prime abord anecdotique, mais il nous semble utile de relever cette disposition. Elle octroie la possibilité à quiconque de se rendre temporairement sur un terrain non bâti, non cultivé et non clôturé (conditions cumulatives). L’objectif de la disposition est de permettre à chacun de s’y balader, d’y jouer ou d’y flâner durant quelques heures[7]. En outre, en consacrant cette tolérance, le législateur coupe court à la possibilité, pour celui qui se baladerait de temps à autres sur un terrain, d’invoquer à terme la prescription acquisitive.
Cette tolérance n’existe pas dans deux situations :
- si elle engendre un dommage ou nuit au propriétaire de la parcelle ;
- si le propriétaire du terrain a fait savoir de manière claire que l’accès à son fonds est interdit sans son autorisation.
L’article 3.67, par. 3 prévoit ainsi une tolérance par défaut, de la part de propriétaire du terrain. La première exception sera évidemment sujette à discussion. La seconde permet cependant au propriétaire de manifester son opposition et ainsi d’anéantir l’existence même de cette tolérance. Notons que cette opposition ne lui permettra cependant pas d’empêcher le passage du public sur son terrain, si une voirie y est établie.
Les pouvoirs publics sont évidemment concernés par cette disposition pour les nombreux terrains qui leur appartiennent. Chaque propriétaire reste libre d’accepter la tolérance ou d’interdire explicitement l’accès à son terrain. Bien que ce soit déjà généralement le cas et qu’il s’agisse d’une simple tolérance, il pourra s’avérer utile soit de clôturer, soit d’interdire clairement l’accès aux terrains non bâtis, non cultivés et non clôturés qui présentent un risque de dommages pour ceux qui pourraient s’y rendre.
De même, en tant que gardienne de la sécurité publique, les communes resteront attentives aux risques que présentent les terrains privés et pour lesquels aucune interdiction n’est formulée. Rappelons cependant que l’obligation des communes, prévue à l’article 135, par. 2 de la Nouvelle loi communale, est une obligation de moyen et non de résultat.
Enfin, il est permis s’interroger sur la portée des termes « non cultivés », en particulier pour les terres laissées au repos. Pour bon nombre d’individus, ces terres seront considérées comme satisfaisant de visu à cette condition. Précisons par ailleurs qu’en ce qui concerne les bois et forêt, le Code forestier interdit explicitement la circulation des piétons en dehors des routes, sentiers, chemins et aires[8].
Servitude et prescription acquisitive
Une servitude est une charge grevant un immeuble (appelé fonds servant), pour l’usage et l’utilité d’un autre immeuble (appelé fonds dominant) appartenant à autrui. Les servitudes sont nombreuses et variées. Citons par exemple les servitudes de passage, de vue et de jour, non aedificandi, de surplomb, … Les servitudes émaneront tantôt de la loi (servitude légale), tantôt de la volonté des personnes (servitude du fait de l’homme).
Comme évoqué précédemment, une servitude est susceptible de naître par l’effet de la prescription acquisitive. Avant la réforme, la prescription acquisitive ne valait que pour les servitudes apparentes et continues. Le législateur a supprimé la référence aux servitudes continues. Toute servitude apparente peut dorénavant naître par prescription acquisitive (art. 3.118).
La notion servitude apparente a en outre été étendue par le législateur, si l’on s’en réfère à l’ancien article 689 du Code civil. Les servitudes apparentes sont dorénavant celles qui s’annoncent par des ouvrages permanents et visibles - comme c’était déjà le cas antérieurement - ou qui s’annoncent « par une activité régulière et révélée par des traces sur le fonds servant » (art. 3.115). Pour le législateur, « l’idée de la protection (d’un candidat-acquéreur) du fonds servant est assurée à suffisance lorsque ce dernier a pu s’apercevoir du comportement du titulaire du futur fonds dominant »[9].
Par conséquent, une plus grande variété de servitudes peut dorénavant naître par l’effet de la prescription. Avant la réforme, les servitudes de passage ne pouvaient exister de cette manière, à l’exception notoire des cas prévus par le législateur concernant les voiries publiques (L. 10.4.1841). Dorénavant, une servitude de passage devient susceptible d’acquisition par prescription, si on y trouve des traces comme par exemple : « taille de végétation, pose de revêtement du sol, aménagement d’une clôture, tonte de l’assiette du passage, traces de roues de véhicules, etc. » (extrait du commentaire des articles[10]).
L’ensemble des conditions de la prescription acquisitive devront être respectées, en ce compris la durée de la possession. Il faudra dès lors apporter la preuve de l’existence d’une servitude apparente (révélée le cas échéant par des traces) durant toute la durée nécessaire pour prescrire. Ceci augure très certainement de nombreuses discussions devant les juridictions.
Outre les servitudes de passage, les servitudes de puisage ou d’égouts pourront également naître par prescription acquisitive, si elles s’effectuent au moyen d’une conduite visible et réalisée (au moins pour partie) sur le fonds servant.
Signalons enfin que le Code prévoit l’extinction d’une servitude en cas de non-usage durant trente ans (art. 3.16, 2° et art. 3.126). La laborieuse charge de la preuve de ce non-usage incombera alors au propriétaire du fonds servant.
Jours et vues
Pour éviter les regards indiscrets sur le fonds voisin, les articles 675 et suivants de l'ancien Code civil règlementaient la distance et la hauteur des fenêtres, ouvertures, balcons, etc. Ces règles opéraient plusieurs distinctions. Elles visaient les jours (laissant passer uniquement la lumière) et les vues (laissant passer l’air et la lumière comme une fenêtre ouvrante ou un balcon). Les vues pouvaient étaient dites droites, si elles permettent de porter un regard sur le fonds voisin sans bouger la tête, ou obliques dans le cas contraire. Pour les jours, les règles variaient également en fonction leur localisation au rez-de-chaussée et aux étages.
Le nouvel article 3.132 réforme profondément les droits du propriétaire en la matière. Ainsi, « le propriétaire d’une construction peut réaliser des fenêtres au vitrage transparent, des ouvertures de mur, des balcons, des terrasses ou des ouvrages semblables pour autant qu’il soit placé à 19 décimètres de la limite des parcelles ». Concernant les murs mitoyens, « un propriétaire ne peut placer de fenêtres, d’ouvertures de murs, de balcons, de terrasses ou d’ouvrages semblables ».
Le livre 3 du Code civil n’établit plus de distinction entre les vues obliques et droites et n’a plus recours aux termes de jours, ni de vues. Les règles de hauteur ne sont plus prévues. Mais plus interpellant encore, on est en droit de penser que l’article 3.132 ne vise que les vues[11] et non les jours.
De plus, la distance est dorénavant « mesurée par une ligne tracée perpendiculairement à l’endroit le plus proches de la fenêtre, de l’ouverture du mur, du balcon, de la terrasse ou des ouvrages semblables jusqu’à la limite de la parcelle ». Cette méthode parait impossible à réaliser pour les vues obliques.
Nicolas Bernard et Vincent Defraiteur en concluent « que l’on pourra, à partir du 1 septembre 2021, aménager des jours à tout endroit dans un mur jointif, sans devoir respecter une certaine hauteur comme c’était le cas auparavant »[12]. L’interdiction concernant les murs mitoyens ne leur serait également plus applicable. Rappelons par ailleurs qu’un jour peut être composé d’un verre opaque mais aussi translucide !
A défaut d’une modification législative et vu l’absence de volonté clairement exprimée dans les travaux parlementaires, on sera évidemment attentif à la manière avec laquelle la jurisprudence appréhendera cette disposition, notamment au regard de la théorie de l'abus de droit. En attendant, dans le cadre de la délivrance des permis, la prudence recommande sans doute d’encourager le demandeur à bénéficier de l’accord du voisin.
On releva enfin que la distance imposée par le Livre 3 connait une série d’exceptions reprises à l’article 3.132. Parmi celles-ci, citons l’accord entre les parties, le cas où l’ouvrage ne peut engendrer le moindre risque pour la vie privée et les bonnes relations de voisinage ou encore la situation où l’élément litigieux se trouve depuis au moins 30 ans à l’endroit concerné.
Relations de voisinage et autres servitudes
Le titre 5 du Livre 3 est consacré aux « relations de voisinage ». Il concentre différentes dispositions contenues antérieurement dans le Code civil ou le Code rural. Certains enseignements issus de la jurisprudence y figurent également. Par ailleurs, le législateur a opéré certaines modifications et adaptations législatives auxquelles il convient d’être attentif.
Ce titre 5 est très vaste. Il concerne notamment les servitudes dont nous avons abordé certains points précédemment. Sans prétendre à l’exhaustivité, ce titre 5 vise également :
- Ce que l’on appelait antérieurement la servitude de tour d’échelle (ou droit d’échelle) ainsi que les obligation du propriétaire lorsque des choses ou animaux, ne lui appartenant pas, se trouvent involontairement sur son fonds (art. 3.67) ;
- Les troubles anormaux de voisinage et à leur prévention. Le Code permet au propriétaire ou à l'occupant d'un immeuble (bâti ou non) de saisir préventivement le juge en cas de « risques graves et manifestes en matière de sécurité, de santé et de pollution » occasionnés par le bien voisin et « rompant ainsi l’équilibre entre les biens immeubles » (art. 3.101 et 3.102) ;
- Les règles applicables à la mitoyenneté, qu’il s’agisse d’un mur, d’une haie, d’un fossé, d’une palissade, d’un grillage ou de toute autre élément matériel (art. 3.103 à 3.113) ;
- La distance des plantations par rapport à la limite des parcelles et pour lequel le législateur supprime la distinction entre les arbres de haute et basse tige pour la remplacer par une distinction en fonction de leur hauteur. Un article sur le sujet est disponible sur notre site internet (art. 3.133) ;
- Le sort des branches et racines envahissant le terrain voisin, en prévoyant une procédure spécifique de mise en demeure, ainsi que le sort des fruits tombant naturellement sur le fonds voisin (art. 3.134) ;
- Les servitudes d’écoulement d’eaux (art. 3.129), la règlementation des sources et des eaux courantes (art. 3.130), l’égout des toits (3.131) ainsi que la servitude légale de passage (art. 3.135 à 3.137).
Rappelons que les dispositions transitoires prévoient que le Livre 3 ne s’applique qu’aux actes et faits juridiques qui ont eu lieu après son entrée en vigueur. Ainsi, ce qui existait avant le 1er septembre devrait rester soumis aux anciennes règles.
Droit d’emphytéose
Les rédacteurs de la réforme ont entendu apporter plus de flexibilité et de sécurité juridique à ce droit réel. Le Livre III rappelle que le droit d’emphytéose est « un droit réel d’usage conférant un plein usage et une pleine jouissance d’un immeuble » (art. 3.167). La personne qui est titulaire de ce droit est appelée « emphytéote ».
Une des modifications fondamentales apportées par la réforme concerne la durée des droits d’emphytéose (art. 3.169). Avant la réforme, le droit d’emphytéose devait avoir une durée conventionnelle comprise entre 27 et 99 ans. Le législateur conserve une durée minimale mais la réduit à 15 ans.
La durée maximale de 99 ans reste d’application mais le législateur tempére quelque peu sa rigidité. Le droit peut ainsi être perpétuel « lorsque et tant qu’il est constitué, par le propriétaire de l’immeuble, à des fins de domanialité publique ». Ce droit perpétuel concerne donc les cas où l’autorité publique bénéficie du droit d’emphytéose et entend affecter le bien à des fins de domanialité publique. Comme évoqué précédemment, le législateur s’est également prononcé sur la situation où le droit d’emphytéose est consenti par l’autorité publique sur un bien qu’elle a déjà affecté au domaine public (art. 3.45).
Enfin, comme c’était le déjà le cas antérieurement, il est possible de proroger le contrat, à condition que sa durée totale n’excède pas 99 ans.
Rappelons que les règles portant sur la durée du droit d’emphytéose étaient et restent impératives. Signalons par ailleurs qu’en cas de droit d’emphytéose perpétuel, « si le droit d’emphytéose existe depuis 99 ans au moins, le juge peut en ordonner la suppression lorsque ce droit a perdu toute utilité, même future ou potentielle » (art .3.175).
Outre les modifications opérées concernant la durée du contrat, on signalera que le Livre 3 supprime le caractère obligatoirement onéreux du droit d’emphytéose. Comme en matière de droit de superficie, un contrat d’emphytéose peut dorénavant être octroyé à titre gratuit ou onéreux.
Enfin, le Livre 3 modifie en profondeur le sort applicable aux ouvrages et plantations réalisés par l’emphytéote, en fin de contrat. L’article 8 de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit d’emphytéose prévoyait que les ouvrages et plantations non retirés par l’emphytéote étaient transférés gratuitement au propriétaire du fonds. Il s’agissait d’une règle supplétive à laquelle il était fréquemment dérogé, non sans incidence au niveau fiscal.
L’article 3.176 prévoit dorénavant qu’en fin de contrat, la propriété des ouvrages et plantations réalisés par l’emphytéote passe au constituant du droit d’emphytéose. Le constituant est tenu d’indemniser l’emphytéote, ce dernier disposant d’un droit de rétention jusqu’à indemnisation. Le législateur crée ainsi un régime similaire, toujours supplétif, semblable au droit de superficie.
Droit de superficie
L’article 3.177 définit le droit de superficie comme « un droit réel d’usage qui confère la propriété des volumes, bâtis ou non, en tout ou en partie, sur, au-dessus ou en-dessus du fonds d’autrui, aux fins d’y avoir tous ouvrages ou plantations ». La finalité du droit de superficie est donc d’avoir ou d’ériger des ouvrages et plantations. Il s’agit donc là de l’intention qui doit guider les parties au contrat. Le droit de superficie se distingue ainsi d’autres droits réels d’usage, comme le droit d’emphytéose, davantage centré sur l’usage et la jouissance.
Malgré cette distinction fondamentale, force est de constater que le législateur a opéré certains rapprochements quant aux règles applicables au droit de superficie et au droit d’emphytéose. Ces règles sont pour la majorité supplétives.
Précisons tout d’abord que le droit de superficie continue à pouvoir être octroyé à titre gratuit ou onéreux.
Sa durée maximale est revue. Elle passe de 50 ans à 99 ans, comme pour le droit d’emphytéose. Toutefois, à l’inverse de ce droit, aucune durée minimale n’est prévue. L’allongement de cette durée maximale augmentera sans doute l’attrait et le recours à ce droit en matière de logement, notamment dans le cadre de Community Land Trust.
Le droit de superficie peut également être prorogé à condition que la durée totale n’excède pas 99 ans. Il peut également être perpétuel notamment « lorsque et tant qu’il est constitué par le propriétaire du fonds à des fins de domanialité publique ». En cas de perte d’utilité (même future ou potentielle), le juge peut ordonner la suppression du droit de superficie perpétuel. Comme en matière de droit d’emphytéose, les règles de durée, figurant à l’article 3.180, sont impératives et existent donc, nonobstant toute clause contraire.
Relevons que le Livre 3 consacre, au travers d’un droit de superficie perpétuel, la propriété immobilière des volumes. Le superficiaire est ainsi propriétaire non seulement des bâtiments et ouvrages érigés sur le fonds d’autrui (comme auparavant) mais également du volume au sein duquel il peut y ériger ses ouvrages. Sous certaines conditions, différents droits de propriété peuvent ainsi coexister de manière perpétuelle, au-dessus d’un même terrain, dissocié verticalement (étages par exemple), sans aucune partie commune (ni copropriété forcée). Il s’agit-là d’une véritablement révolution en droit des biens qui trouvera à s’appliquer aux projets immobiliers intégrant une certaine mixité fonctionnelle.
Enfin, à l’extinction du droit, la propriété du volume passe au constituant du droit de superficie, ce dernier étant tenu à indemnisation des ouvrages et plantations réalisés ou acquis. Jusqu’à indemnisation, le superficiaire bénéficie d’un droit de rétention (art.3. 188). Relevons que ce mécanisme est similaire à celui qui prévaut en matière de droit d’emphytéose.
Conclusion
Le nouveau Livre 3 du Code civil guidera les contrats, actes unilatéraux et actions des particuliers mais également des autres autorités publiques. Si de nombreux principes sont maintenus, voire confirmés, d’autres dispositions opèrent des modifications fondamentales. Les implications de certaines d’entre elles doivent encore être balisées par la jurisprudence.
Les dispositions transitoires prévoient que les contrats conclus avant le 1er septembre 2021 restent soumis aux anciennes dispositions, sauf accord des parties. Pour les autres actes, il ne peut qu’être recommandé d’opérer une vérification systématique dans le Livre 3, afin de s’assurer de l’absence de modifications éventuelles des règles applicables jusqu’alors.
Que ce soit par le biais de formations et d’ateliers de formation ou au travers de notre mission d’assistance-conseil (pour nos membres), l’Union des Villes et Communes de Wallonne ne manquera pas de vous aider à appréhender au mieux ces règles dans le cadre de vos dossiers concrets.
[1] Citons en particulier la nécessité d’une possession utile, à savoir continue, paisible, publique et non équivoque. Sur ce point, le Livre 3 n’entend pas modifier l’appréciation de ces conditions (v. notre article sur le sujet).
[2] Art. 3.22 du C. civ.
[3] Prop. de loi portant insertion du Livre 3 « Les biens » dans le nouveau Code civil, Commentaire des articles, Doc. parl., Ch. repr., sess. extr. 2019, n°0173/001, p.112.
[4] Cass., 18.5.2007.
[5] Cass. 16.5.1974, Pas., I, p.954.
[6] L. 30.12.1975 concernant les biens trouvés en dehors des propriétés privées ou mis sur la voie publique en exécution d’un jugement d’expulsion.
[7] Prop. de loi portant insertion du Livre 3 « Les biens » dans le nouveau Code civil, Commentaire des articles, Doc. parl., Ch. repr., sess. extr. 2019, n°0173/001, p.168.
[8] C. forestier, art. 20.
[9] Prop. de loi portant insertion du Livre 3 « Les biens » dans le nouveau Code civil, Commentaire des articles, Doc. parl., Ch. repr., sess. extr. 2019, n°0173/001, p.219.
[10] Prop. de loi portant insertion du Livre 3 « Les biens » dans le nouveau Code civil, Commentaire des articles, Doc. parl., Ch. repr., sess. extr. 2019, n°0173/001, p.220.
[11] Traitant des « fenêtre, ouverture, balcons, terrasses ou ouvrages semblables ».
[12] V. N. Bernard et V. Defraiteur, Le droit des biens après la réforme de 2020, Anthemis, 2020, p.587.