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Mis en ligne le 10 Juin 2004

Un arrêt récent du Conseil d'Etat du 24 mai 2002 [1] consacre l'autonomie fiscale des communes et prend un relief tout particulier en ces périodes difficiles
pour les finances des pouvoirs locaux.

Souhaitant informer ses membres en temps réel, l'Union des Villes et Communes de Wallonie en propose une lecture "accompagnée" à ses lecteurs.

On se souviendra qu'en son temps, le Conseil d'Etat avait déjà annulé la circulaire réglementaire du 21 novembre 1997 [2] qui fondait ce que l'on dénomme généralement la "Paix fiscale wallonne". La haute juridiction administrative avait rappelé, au départ d'un recours de la ville de Huy, qu'une simple circulaire ne pouvait imposer de manière réglementaire le respect de règles impératives limitant l'autonomie fiscale des communes, garantie par la Constitution.

La circulaire disparue, restait le principe même de la "Paix fiscale", lequel pouvait être rappelé au cas par cas, par la Région wallonne au détour du contrôle de tutelle individuelle qu'elle peut exercer sur les budgets et règlements fiscaux communaux.

C'est ce contrôle de tutelle que la ville de Huy, dans la foulée de son recours contre la circulaire, attaqua en 1998 devant le Conseil d'Etat.

Quatre ans plus tard, la haute Cour administrative rend un arrêt que nous qualifierons de principe.


LE CADRE DU RECOURS

La Ville attaquait trois arrêtés ministériels pris par l'autorité de tutelle quant à ses taxes et son budget.

Premièrement, l'Autorité de tutelle déniait au conseil communal hutois le droit de voter une augmentation des centimes additionnels au précompte immobilier (passer de 3100 [3] à 3300 additionnels).

Deuxièmement, la tutelle n'admettait pas le règlement taxe sur les constructions et reconstructions, lequel quadruplait son taux pour passer d'une imposition de 5 francs/m3 à 20 francs/m3.

Enfin, troisièmement, la tutelle refusait également les taxes communales qui présentaient le même objet que celles qu'elle entendait régionaliser par les décrets de 1998 et refusait partiellement d'approuver le budget.


L'ARRET DU CONSEIL D'ETAT

Nous relèverons ici les points importants de l'arrêt.

1. Sur l'intérêt de la ville à agir

Le règlement-taxe annulé et le budget réformé appartenant au passé (exercice 1998 à 2000), la Région déniait à la ville l'intérêt à une action devant le Conseil d'Etat.

Le Conseil d'Etat rappelle un principe intéressant de maintien de l'intérêt à agir en ces termes:

"Une commune a toujours intérêt à contester des décisions de l'autorité de tutelle qui portent, à son estime, atteinte à son pouvoir de taxation et à son autonomie".

2. Sur le contrôle de tutelle, l'autonomie fiscale des communes et le plafonnement des additionnels communaux

Le Conseil d'Etat pose le principe de l'autonomie fiscale des communes.

"L'établissement d'un impôt communal est en vertu de la Constitution, notamment de ses articles 41, 162 et 170, §4, une matière d'intérêt communal qu'il revient au conseil communal de régler …

et ses limites

… sauf les exceptions déterminées par la loi, dont la nécessité est démontrée, et pour autant que, sous le contrôle de l'autorité de tutelle et des juridictions compétentes, l'établissement d'un tel impôt ne viole pas la loi ou ne blesse pas l'intérêt général. Dans ces limites, le pouvoir fiscal des communes participe de l'autonomie que leur a reconnu le Constituant".

Conséquence pour l'autorité de tutelle, le contrôle de tutelle ne peut consister qu'en un "examen concret et individualisé" d'un cas présenté (tutelle au cas par cas):

"Qu'il en résulte que l'autorité de tutelle ne peut, sous le couvert de l'intérêt général, imposer aux communes une obligation que la loi ne leur impose pas sans indiquer concrètement, dans chaque cas d'espèce et après une appréciation individuelle, les motifs spécifiques qui justifient cette exigence."

La tutelle ne peut donc pas imposer des règles de manière générale et abstraite et ce d'autant plus qu'elle ne dispose pas de la compétence de limiter l'autonomie fiscale des communes:

"Qu'en effet, l'intervention de l'autorité de tutelle ne peut conduire à un automatisme dans l'application de normes à des situations individuelles car la compétence de cette autorité est conçue de manière à ne la faire intervenir que chaque fois qu'elle est saisie d'une décision communale isolée.

Considérant qu'il ne ressort pas [de la motivation de la décision de l'autorité de tutelle que celle-ci] serait le résultat d'un examen concret et individualisé des circonstances de l'espèce; qu'au contraire l'autorité de tutelle, en relevant notamment que le passage de 3100 à 3300 centimes d'additionnels au précompte immobilier "constitue une charge extraordinaire sur les redevables" et que ce taux est "d'ailleurs le plus élevé en Région wallonne" paraît appliquer de manière automatique un "plafond", alors qu'elle est sans pouvoir pour fixer de manière générale et abstraite, un taux maximal pour les centimes additionnels au précompte immobilier, un tel pouvoir étant réservé par la Constitution au législateur fédéral".

Et le Conseil d'Etat de tirer ses conclusions quant au plafonnement du taux des additionnels communaux:

"L'autonomie fiscale communale étant garantie par la Constitution, l'autorité de tutelle ne peut y substituer un intérêt supérieur, tel que notamment celui qui exigerait pour toutes les communes de respecter un taux idéal de taxation".

3. Sur la taxe considérée comme excessive

La taxe sur les constructions et reconstruction avait été annulée par la tutelle au motif que le quadruplement du taux de la taxe accroissait de manière disproportionnée et inéquitable la pression fiscale sur un petit nombre de contribuables eu égard à l'intérêt modeste pour les finances communales.

Le Conseil d'Etat relève des ambiguïtés dans la motivation de l'autorité de tutelle:

"la motivation de [la décision de tutelle attaquée] ne démontre pas en quoi l'augmentation de la taxe sur les constructions et reconstructions décidée par la ville de Huy excéderait manifestement une limite raisonnable et blesserait l'intérêt général; que l'arrêt litigieux est à tout le moins ambigu lorsqu'il relève que "ce supplément d'imposition… ne représente pas un montant très élevé de manière absolue" pour ensuite considérer que "ce quadruplement du taux de la taxe accroît de manière disproportionnée et inéquitable la pression fiscale"."

Le Conseil d'Etat relève un paradoxe important: la taxe respecte le taux maximal suggéré par la circulaire budgétaire, elle ne peut donc être considérée comme excessive par la Région:

"qu'il n'est par ailleurs pas contesté que le taux de 20 francs par m3 choisi par la ville reste inférieur au montant maximal de 25 francs par m3 figurant dans les circulaires budgétaires de l'autorité régionale de tutelle, en sorte qu'il est paradoxal qu'une taxe qui reste inférieure au plafond préconisé par la Région soit considérée comme excessive par la même autorité".

4. Sur les taxes régionalisées et l'autonomie des communes de les lever à leur compte

Relativement à la problématique des taxes "régionalisées" que la ville entendait lever pour son compte, l'autorité de tutelle motivait son refus partiel d'approbation du budget en considérant que "le Gouvernement wallon veille à ce que les redevables échappent dans une certaine mesure à la double taxation sur le même objet" et que "la Région wallonne entend pour sa part exercer son pouvoir fiscal" et que "le choix des taxes communales qui ne devraient plus être levées n'est pas arbitraire mais correspond bien à des taxes à percevoir par la Région wallonne".

Face à cette argumentation, le Conseil d'Etat développe un raisonnement en trois temps:

Premier temps: la Région n'avait pas encore effectivement exercé son pouvoir fiscal sur les mêmes bases taxables que celles choisies par la commune à la date du recours introduit:

"La [motivation de l'autorité de tutelle] n'est pas admissible puisqu'elle revient à admettre implicitement que l'autorité de tutelle puisse réformer le budget communal pour le seul motif que la Région pourrait faire usage de son pouvoir fiscal sur les mêmes bases taxables que celles choisies par une commune; que l'explication avancée [par l'autorité de tutelle] selon laquelle le maintien des taxes concernées dans le budget communal est intolérable puisqu'il aboutirait à une double imposition, ne peut davantage être admise étant donné qu'à l'époque de l'intervention de l'acte attaqué, la Région wallonne n'avait pas encore réellement exercé son pouvoir fiscal dans la matière couverte par les taxes communales rejetées, aucun décret fiscal n'ayant encore été adopté à cette fin; qu'il s'ensuit que l'autorité de tutelle a fait une application erronée de la notion d'intérêt général en usant de son pouvoir pour empêcher une commune de réglementer une matière fiscale qu'une autorité supérieure pourrait être amenée à réglementer elle-même."

Toutefois, on sait qu'aujourd'hui les décrets "régionalisant" les taxes sur les logements insalubres, les SAED et les automates ont bel et bien été adoptés (un seul, toutefois, étant mis à exécution, celui des logements insalubres). Est-ce à dire que sur le point développé, l'arrêt présenté n'a plus qu'une valeur historique? Nous ne le croyons pas car le Conseil d'Etat poursuit son raisonnement dans un second temps.

"Par ailleurs, l'adage "non bis in idem" ne constitue pas un principe général de droit applicable en l'espèce et ne s'oppose pas à la coexistence de deux impôts comparables levés par des pouvoirs taxateurs différents …

Enfin, troisième temps, le Conseil d'Etat rappelle que seul le législateur fédéral est compétent pour retrancher une compétence fiscale spécifique aux communes pour la réserver à un autre pouvoir.

… la circonstance que la Région wallonne pourrait établir des taxes semblables aux taxes levées par la ville de Huy ne privant aucunement la commune de son pouvoir fiscal étant donné que les exceptions à la compétence fiscale des communes doivent, en vertu de l'article 170, § 4 de la Constitution, être établies expressément par le législateur fédéral; qu'en tout état de cause, des considérations tenant à l'équité ou à la pure opportunité ne peuvent justifier que l'autorité de tutelle se substitue à l'autorité communale compétente dans ses choix de politique fiscale."

Le Conseil d'Etat conclut:

"Dans l'exercice de son autonomie reconnue par la Constitution, la commune choisit librement les taxes qu'elle entend lever ou augmenter et celles qu'au contraire elle souhaite ne pas lever ou augmenter".

La notion de "paix fiscale"

On rappellera que cette notion a vu le jour sous la précédente législature. Souhaitant un stop fiscal, le Gouvernement wallon avait imposé aux communes des plafonds aux centimes additionnels au précompte immobilier (2600 centimes) et à l'impôt des personnes physiques (8%), les communes qui disposaient de taux supérieurs pouvant les maintenir.

Une série de taxes communales étaient régionalisées par décrets du 19 novembre 1998: la taxe sur les logements abandonnés (laquelle vient, enfin, d'être mise en application par arrêté du 6 décembre 2002), la taxe sur les sites d'activité économique désaffectés et la taxe sur les automates (distributeurs automatiques de billets de banque, guichets automatisés, distributeurs de carburant automatique).

La liste des taxes admises dans la circulaire budgétaire prenait une signification quelque peu différente d'auparavant: si les communes conservent la faculté de lever les taxes qu'elles souhaitent, adopter une taxe listée par la Région au taux recommandé par celle-ci "garantit une plus grande sécurité juridique et ne risque pas de blesser l'intérêt général"(Circ. Budgétaire 19.7.2001).

Pour tenter de compenser les pertes de rentrées financières, le Gouvernement wallon indexait le fonds des communes…

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  1. [remonter] CE, 24.5.2002, Ville de Huy/ Députation permanente du conseil provincial de Liège et Région wallonne, n° 106.994 du 24 mai 2002
  2. [remonter] CE, 11.3.1998, n° 72.329
  3. [remonter] Nous rappellerons qu'il est admis que les communes qui avaient des taux d'additionnels supérieurs à ceux recommandés par la Région peuvent les maintenir, sans cependant les augmenter.

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Date de mise en ligne
10 Juin 2004

Type de contenu

Matière(s)

Finances et fiscalité
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