Troubles de voisinage : les communes sont-elles compétentes ?
On le sait, les communes sont souvent interpelées par leurs citoyens lors de problèmes liés à des troubles de voisinage : un voisin trop bruyant, un voisin qui dérange avec certains comportements, un chien qui aboie de manière intempestive, etc.
Il est donc intéressant de se pencher sur les possibilités dont disposent les communes en la matière sachant que ces dernières sont garantes du maintien de l’ordre public.
Nous rappellerons dans un premier temps la distinction entre maintien de l’ordre public et troubles de voisinage, avant d’analyser les compétences dont disposent les communes en la matière.
Maintien de l’ordre public vs troubles de voisinage
L’article 135, paragraphe 2, de la nouvelle loi communale est le siège de l’attribution de compétences aux communes en termes de maintien de l’ordre public.
La doctrine considère à l’unanimité que l’ordre public se divise en trois composantes. Il s’agit de la tranquillité publique, de la salubrité publique et enfin la sécurité publique.
De manière générale, la tranquillité publique consiste en l’absence de désordre et de troubles[1]. La salubrité publique vise quant à elle l’absence de maladie ou de risque de maladie[2]. Par ailleurs, la Cour de Cassation estime qu’elle recouvre tout ce qui touche à l’hygiène et à la santé des habitants de la commune[3]. Et enfin, la sécurité publique représente l’absence d’accident ou de risque d’accident causant des dommages aux personnes et aux choses[4].
Relèvent de la salubrité publique, pour ne citer que ces exemples, la problématique de la dératisation, des logements insalubres, des végétaux nuisibles, des épidémies.
Relèvent de la tranquillité publique, les nuisances sonores dans certaines proportions mais également les rixes sur la voie publique, la problématique de la mendicité ou encore celle des collectes à domicile.
Enfin, relève de la sécurité publique, la problématique des chiens dangereux, des immeubles menaçant ruine, de la sécurisation des voiries, etc.
La théorie des troubles de voisinage, d’origine jurisprudentielle à la base, a été consacrée dans le Code civil en son article 3.101 qui énonce ce qui suit :
« Par. 1 – Les propriétaires voisins ont chacun droit à l’usage et à la jouissance de leur bien immeuble. Dans l’exercice de l’usage et de la jouissance, chacun d’eux respecte l’équilibre établi en ne causant pas à son voisin un trouble qui excède la mesure des inconvénients normaux du voisinage et qui lui est imputable.
Pour apprécier le caractère excessif du trouble, il est tenu compte de toutes les circonstances de l’espèce, tels le moment, la fréquence et l’intensité du trouble, la préoccupation ou la destination publique du bien immeuble d’où le trouble causé provient.
Par. 2 – Celui qui rompt l’équilibre précité est tenu de le rétablir. Le juge ordonne celles des mesures suivantes qui sont adéquates pour rétablir l’équilibre :
1° une indemnité pécuniaire pour compenser le trouble excessif ;
2° une indemnité pour les coûts liés aux mesures compensatoires prises quant à l’immeuble troublé pour ramener le trouble à un niveau normal ;
3° pour autant que cela ne crée pas un nouveau déséquilibre et que l’usage et la jouissance normaux de l’immeuble ne soient pas ainsi exclus, l’interdiction du trouble rompant l’équilibre ou des mesures, concernant l’immeuble causant le trouble, pour ramener le trouble à un niveau normal.
Par. 3 – Si l’un ou les deux biens immeubles voisins sont grevés d’un droit en faveur d’un tiers, qui dispose d’un attribut du droit de propriété, les paragraphes 1 et 2 s’appliquent à ce tiers pour autant que le trouble soit causé par l’exercice de l’attribut et pouvant lui être imputé.
Si le trouble résulte de travaux autorisés expressément ou tacitement par le propriétaire concerné ou le titulaire de l’attribut du droit de propriété, il est réputé lui être imputable.
Par. 4 – L’action pour trouble anormal de voisinage se prescrit conformément à l’article 2262bis, par. 1er, al. 2 et 3 de l’ancien Code civil. »
Ainsi, il y aura trouble anormal de voisinage lorsque le trouble « excède la mesure des inconvénients normaux de voisinage ». Le caractère excessif du trouble est apprécié en fonction de toutes les circonstances de l’espèce, que l’article 3.101 liste, de manière exemplative. En cas de trouble avéré, un recours en compensation est donc ouvert aux voisins lésés.
Sur cette base, on peut constater qu’en cas de troubles de voisinage, la seule possibilité offerte aux citoyens est de passer devant le juge de paix.
Les communes peuvent-elles agir dans le cas de troubles de voisinage ?
Lorsque l’on parle d’ordre public, il est exclu que l’on vise les litiges purement privés. Se pose alors toute la question de la frontière entre la préservation de l’ordre public et l’application de la théorie des troubles de voisinage.
Aucune règle légale ne situe la frontière entre cet équilibre rompu entre deux propriétaires et l’endroit de l’intervention de l’autorité communale pour résoudre un trouble à la tranquillité publique, voire à la salubrité ou à la sécurité qui en résulterait. La commune devra donc toujours veiller à bien identifier un trouble de nature publique avant d’envisager son action.
Souvent, la gravité des conséquences d’un dommage peut aider à déterminer le caractère public ou non d’une situation. Les exemples les plus illustratifs de la difficulté à définir une frontière claire entre l’ordre public et le trouble de voisinage sont ceux du bruit et des fumées de cheminées, odorantes ou non, causant un désagrément au voisinage immédiat.
Ainsi, le cas de fumées issues de la combustion d’un poêle à bois émanant d’une cheminée, au motif qu’elles présentent un risque de toxicité pour l’habitation voisine, a pu donner lieu adéquatement à une mesure de police du bourgmestre destinée au rehaussement des cheminées afin de faire cesser un trouble qui s’apparentait de prime abord à un litige privé[6]. Le Conseil d’Etat[7] considère en effet que, le risque d’émanations de monoxyde étant réel, la mesure de police est légale dès lors qu’un trouble à l’ordre public est constaté. De même, le Conseil d’Etat rappelle qu’il est indifférent que le trouble trouve son origine dans une propriété privée, dès lors qu’il se propage à l’extérieur.
Conclusion
Les communes ne sont pas compétentes pour tous les désagréments survenant sur leur territoire malgré leur pouvoir de police administrative générale qui vise le maintien de l’ordre public matériel.
Il conviendra donc d’être attentif quant aux conséquences que pourrait engendrer le trouble évoqué. Si celui-ci n’est pas public, et donc ne concerne qu’un litige privé, elles ne pourront aucunement intervenir, sauf à conseiller d’aller devant un juge de paix.
[1] J. Dembour, Les pouvoirs de police administrative générale des autorités locales, Bruxelles, Bruylant, 1956, p. 81.
[2] Idem.
[3] Que ce soit sur la voie publique ou à l’intérieur des habitations, Cass., 20.6.2008, www.juridat.be.
[4] J. Dembour, op. cit., p. 81.
[5] J. Hansenne, Les Biens - précis, Ed. Collection Scientifique de la Faculté de Droit de Liège, Liège, 1996, p. 780.
[6] C.E., n°139.082, 11.1.2005.
[7] idem
L'article complet au format PDF
Police administrative : Sylvie Smoos