Lorsqu’en procédure ouverte, un soumissionnaire procède à la correction de quantités inscrites au métré ou à l’inventaire, comment le pouvoir adjudicateur classe-t-il les offres ?
Si, en procédure ouverte, le principe est l’intangibilité des offres et l’absence de négociation, la réglementation des marchés publics prévoit de manière stricte des hypothèses de modification ou de correction des offres déposées. L’une de ces hypothèses est celle prévue en suite d’une correction des quantités proposée par un ou plusieurs soumissionnaires et logée à l’article 86, paragraphe 4 de l’arrêté royal relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques du 18 avril 2017 (ci-après, l’ARP).
Plusieurs vérifications s’imposent avant d’admettre la correction. Il est à noter que d’après la doctrine sous l’ère de l’arrêté royal du 15 juillet 2011[1], le pouvoir adjudicateur n’est pas autorisé à s’adresser aux soumissionnaires pour procéder à cette correction car cela pourrait équivaloir à une négociation, ce qui n’est évidemment pas permis en procédure ouverte.
1e étape : un soumissionnaire a corrigé les quantités indiquées au métré et y était autorisé
L’article 79, paragraphe 2, de l’ARP permet, dans certaines conditions, aux soumissionnaires de corriger le métré adopté par le pouvoir adjudicateur. Il faut donc d’abord vérifier que la correction par le soumissionnaire était admissible.
« En tenant compte des documents du marché, de ses connaissances professionnelles ou de ses constatations personnelles, le soumissionnaire :
1° corrige les erreurs qu'il découvre dans les quantités forfaitaires ;
2° corrige les erreurs qu'il découvre dans les quantités présumées pour lesquelles les documents du marché autorisent cette correction et à condition que la correction en plus ou en moins qu'il propose atteigne au moins dix pour cent du poste considéré ;
(…)
Il joint à son offre une note justifiant ces modifications ».
Dans un de ses arrêts, le Conseil d’état rappelle que la possibilité pour un soumissionnaire de corriger les quantités présumées indiquées à l’inventaire n’existe que lorsque le pouvoir adjudicateur a permis cette correction dans les documents de marché.
« Il n'est (…) pas contesté, qu'en l'espèce, les documents du marché n'autorisaient pas la correction d'erreurs découvertes dans les quantités présumées, en sorte que la correction à laquelle a procédé l'attributaire du marché ne rentrait pas dans les prévisions de l'article 79, par. 2, 2°, de l'arrêté royal du 18 avril 2017 précité. Il en découle que le pouvoir adjudicateur ne pouvait pas rectifier la modification des quantités présumées contenue dans l'offre de ce dernier, puisque cette rectification ne peut avoir lieu, en vertu de l'article 86 dudit arrêté, que lorsque le soumissionnaire a corrigé une quantité du métré conformément à l'article 79, par. 2, du même arrêté »[1].
L’on notera que l’article 86 de l’ARP contient un 5e paragraphe qui traite des corrections introduites par des soumissionnaires (uniquement) provisoirement sélectionnés ou introduites par des soumissionnaires dont l’offre est déclarée irrégulière.
« Pour l'application du présent article, le pouvoir adjudicateur tient compte des corrections proposées dans toute offre, régulière ou non, introduite par un soumissionnaire sélectionné ou provisoirement sélectionné conformément à l'article 66, par. 2, de la loi ».
2e étape : le pouvoir adjudicateur contrôle ces modifications
L’article 86, par. 1er, al. 1 et 3 de l’ARP précise :
« Lorsque, conformément aux articles 34 et 79, par. 2, un soumissionnaire a corrigé la quantité d'un ou de plusieurs postes du métré récapitulatif ou de l'inventaire, le pouvoir adjudicateur contrôle ces modifications, les rectifie s'il échet selon ses propres calculs et amende, le cas échéant, les métrés ou inventaires joints aux offres.
(…)
Lorsque le pouvoir adjudicateur n'est pas en mesure de vérifier par ses propres calculs les modifications d'un poste à quantité présumée, il ramène à la quantité initiale du métré ou de l'inventaire les quantités proposées supérieures ou inférieures ».
Lorsqu’un ou plusieurs soumissionnaires procède à la correction des quantités, il appartient au pouvoir adjudicateur d’en vérifier le bien fondé et d’adapter la comparaison des offres en conséquence (voir 3e étape). S’il ne peut le faire, il doit ramener la(es) quantité(s) corrigée(s) par le(s) soumissionnaire(s) à la (aux) quantité(s) initiale(s).
3e étape : après avoir procédé au contrôle des corrections des quantités et admis le cas échéant certaines corrections, le pouvoir adjudicateur classe les offres
L’article 86, par. 4 de l’ARP précise :
« En vue uniquement du classement des offres, les quantités admises par le pouvoir adjudicateur, supérieures ou égales aux quantités du métré initial ou de l'inventaire initial, sont portées à tous les métrés ou inventaires indistinctement. Par contre, les modifications admises par le pouvoir adjudicateur et qui ont pour effet de diminuer les quantités, ne profitent qu'aux seuls soumissionnaires qui les ont signalées et seulement dans la mesure où les justifications sont acceptées. A cet effet :
1° lorsque la quantité proposée par le soumissionnaire est inférieure à celle admise par le pouvoir adjudicateur, cette dernière quantité est portée au métré ou à l'inventaire;
2° lorsque la quantité proposée par le soumissionnaire est comprise entre celle admise par le pouvoir adjudicateur et la quantité initiale du métré ou de l'inventaire, la quantité proposée par le soumissionnaire est portée au métré ou à l'inventaire;
3° lorsque la quantité proposée par le soumissionnaire est supérieure à la quantité initiale du métré ou de l'inventaire, la quantité proposée par le soumissionnaire est ramenée à la quantité initiale du métré ou de l'inventaire ».
Au terme de cette vérification, le pouvoir adjudicateur peut soit admettre une quantité égale ou supérieure à la quantité initiale (article 86, par. 4, al. 1er de l’ARP) soit admettre une quantité inférieure à la quantité initiale (article 86, par. 4, al. 2 de l’ARP).
Avec des exemples chiffrés, la compréhension est plus claire.
1e hypothèse – le PA admet une quantité égale ou supérieure à la quantité initiale: le pouvoir adjudicateur porte la quantité admise à tous les soumissionnaires (peu importe ce qu’ils ont proposé comme quantité corrigée ou qu’ils n’aient pas proposé de correction)
- Correction à la baisse par A
Art 86, par. 4, al. 1er
Quantité initiale : 20
Quantité corrigée par A : 10
Quantité admise : 20
Quantité pour le classement : 20
Art. 86, par. 4, al. 1er
Quantité initiale : 20
Quantité corrigée par A : 10
Quantité admise : 30
Quantité pour le classement : 30
- Correction à la hausse par A
Art. 86, par. 4, al. 1
Quantité initiale : 20
Quantité corrigée par A : 30
Quantité admise : 25
Quantité pour le classement : 25
Art. 86, par. 4, al. 1
Quantité initiale : 20
Quantité corrigée par A : 30
Quantité admise : 30
Quantité pour le classement : 30
Art. 86, par. 4, al. 1
Quantité initiale : 20
Quantité corrigée par A : 30
Quantité admise : 20
Quantité pour le classement : 20
Art. 86, par. 4, al. 1
Quantité initiale : 20
Quantité corrigée par A : 30
Quantité admise : 35
Quantité pour le classement : 35
2e hypothèse – le PA admet une quantité inférieure à la quantité initiale : la correction à la baisse ne profite qu’au(x) soumissionnaire(s) qui l’avai(en)t signalé et dans la mesure où cette correction à la baisse est admise
L’objectif poursuivi est d’encourager les soumissionnaires à examiner sérieusement le métré ou l’inventaire et d’y déceler des éventuelles erreurs. L’admission d’une correction à la baisse ne profite qu’au(x) soumissionnaire(s) qui auraient dénoncé les erreurs et que dans la mesure de la correction proposée.
Plusieurs sous-hypothèses sont envisageables.
Art. 86, par. 4, al. 2
Quantité initiale : 20
Quantité corrigée par A : 10
Quantité non corrigée par B : 20
Quantité admise : 10
Quantité pour le classement de A : 10
Quantité pour le classement de B : 20
Art. 86, par. 4, al. 2, 1°
Quantité initiale : 20
Quantité corrigée par A : 10
Quantité non corrigée par B : 20
Quantité corrigée par C : 30
Quantité admise : 15
Quantité pour le classement de A : 15
Quantité pour le classement de B : 20 (application de l’article 86, par. 4, al. 1er ARP)
Quantité pour le classement de C : 20 (application de l’article 86, par. 4, al. 2, 3° ARP)
Art. 86, par. 4, al. 2, 2°
Quantité initiale : 20
Quantité corrigée par A : 10
Quantité admise : 5
Quantité pour le classement de A : 10
Art. 86, par. 4, al. 2, 3°
Quantité initiale : 20
Quantité corrigée par A : 30
Quantité admise : 15
Quantité pour le classement de A : 20
Il est à noter que, selon l’article 86, par. 1er, al. 2 de l’ARP, « pour le soumissionnaire qui a proposé une réduction, le prix total correspondant à la quantité ainsi réduite devient forfaitaire, à condition que et dans la mesure où le pouvoir adjudicateur accepte cette correction ». Si on veut encourager la vérification minutieuse par les soumissionnaires des quantités inscrites au métré, on veut aussi le responsabiliser de cette correction en forfaitisant la quantité ainsi réduite, en vue de l’exécution.
Reste encore une question en suspens : que veulent dire les termes « en vue uniquement du classement des offres » inscrits en tête du paragraphe 5 de l’article 86 de l’ARP ?
L’admission de corrections proposées par les soumissionnaires s’effectue uniquement pour le classement des offres et « non [pour] la détermination définitive du prix du marché »[1]. Autrement dit, le montant d’attribution ne sera pas nécessairement celui de la comparaison. Au terme du contrôle par le pouvoir adjudicateur des corrections et de ses propres vérifications, le pouvoir adjudicateur « amende, le cas échéant, les métrés ou inventaires joints aux offres » (art. 86, par. 1er, al. 1er ARP) et ce, en vue de l’exécution du marché.
[1] E. VAN NUFFEL, Commentaire article par article de la (nouvelle) Législation sur les marchés publics – Arrêté royal du 15.7.2011, Politeia, Commentaire sous l’article 97 ; B. LOMBAERT (sous la dir.), La passation des marchés publics dans les secteurs classiques, Waterloo, Kluwer, 2014, p. 529 ; ces doctrines s’appuient sur l’arrêt du Conseil d’état n°222.683 du 28.2.2013.
[2] C.E., n°240.511, 23.1.2018
[3] B. LOMBAERT (sous la dir.), La passation des marchés publics dans les secteurs classiques, op.cit., p. 535 ; v. également : A. DELVAUX et alii, Commentaire pratique de la réglementation des marchés publics, tome 1B, Bruxelles, Confédération construction, 7e éd., 2014, p. 1458.
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