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Mis en ligne le 2 Mars 2023

Cette question doit être analysée sous plusieurs angles : celui des règles relatives au choix de la procédure de passation du marché, d’une part, et celui des règles de compétences des organes décisionnels prévues par le Code de la démocratie locale et de la décentralisation (CDLD) et par la loi du 8 juillet 1976 organique des CPAS (LO CPAS), d’autre part. En outre, la question du montant maximum éventuellement fixé dans les documents du marché sera abordée.

 

I. Incidence du "montant estimé" vs. "montant d'attribution" quant aux choix de la procédure de passation

Certaines procédures de passation peuvent être mises en œuvre, notamment, dans certains cas dépendant du respect de seuils financiers.

Ces procédures et hypothèses de mise en œuvre sont les suivantes :

-        La procédure concurrentielle avec négociation (PCAN). L’article 38, §1er, 1°, f, de la loi du 17 juin 2016 permet le recours à cette procédure lorsque le montant estimé du marché est inférieur à 750.000 euros pour les marchés de travaux et 215.000 euros pour les marchés de fournitures et de services ;

-        La procédure négociée directe avec publication préalable (PNDAPP). L’article 41, §1er, 1° et 2°, de la loi du 17 juin 2016 permet le recours à cette procédure pour les fournitures et les services dont le montant estimé est inférieur au seuil correspondant fixé pour la publicité européenne et pour les travaux dont le montant estimé est inférieur à 750.000 euros ;

-        La procédure négociée sans publication préalable (PNSPP). L’article 42, §1er, 1°, a, de la loi du 17 juin 2016 permet le recours à cette procédure lorsque la dépense à approuver est inférieure à 140.000 euros[1] ;

-        Le marché de faible montant (MFM). L’article 92 de la loi du 17 juin 2016 définit les marchés de faible montant comme « les marchés dont le montant estimé est inférieur à 30.000 euros » (nous soulignons).

Ces montants s’entendent tous hors taxe sur la valeur ajoutée.

L’on relève que le législateur fait dépendre la faculté d’user de la procédure soit du montant estimé (en PCAN, PNDAPP et MFM), soit de la dépense à approuver (PNSPP).

 

    PCAN, PNDAPP et MFM

L’on en déduit qu’en PCAN, PNDAPP et MFM, dans la mesure où le législateur fait dépendre du montant estimé du marché la faculté d’user de la procédure, le pouvoir adjudicateur pourra attribuer le marché quand bien même le montant d’attribution dépasserait le montant estimé du marché, et a fortiori lorsque le montant d’attribution est supérieur aux montants visés ci-dessus.

Illustrons le propos par l’exemple concret d’un marché de fournitures passé en PNDAPP sur la base de l’article 41, §1er, 1°, de la loi du 17 juin 2016. Le marché est estimé à 210.000 euros HTVA. Le montant de l’offre économiquement la plus avantageuse déterminée sur la base des critères d’attribution s’élève à 217.000 euros HTVA, soit au-delà du seuil de publicité européenne de 215.000 euros HTVA dont dépend la faculté de recourir à la PNDAPP. Le recours à cette procédure dépendant du montant estimé et non du montant d’attribution, le pouvoir adjudicateur pourra attribuer le marché en l'état, malgré le dépassement du seuil de 215.000 euros (sans préjudice de la faculté de mener des négociations).

Attention toutefois, cette conclusion ne nous semble valoir que si, initialement, l’estimation a été faite « correctement » et de bonne foi. Il pourrait, en effet, s’avérer que l’estimation ne respecte pas le prescrit de l’article 7 de l’arrêté royal du 18 avril 2017 (ARP) parce que, par exemple, des postes pourtant prévus à l’inventaire ont été omis de l’estimation, ou que l’estimation oublie certains lots, une tranche conditionnelle, une option, les reconductions, etc. Il pourrait aussi s’avérer que, bien que respectant l’article 7 ARP, l’estimation n’ait pas tenu compte de la conséquente augmentation de certains prix constatée ces derniers mois (à cet égard, rappelons l’importance des prospections préalables au lancement du marché). Dans ces différents cas, face à une véritable erreur d’estimation ayant entraîné indûment l’application de la procédure choisie (et éventuellement, le niveau de publicité), il nous semble qu’il faille envisager de renoncer à l’attribution et, le cas échéant, relancer un marché selon une autre procédure.

 

    PNSPP

A l’inverse, la faculté de recourir à la PNSPP prévue à l’article 42, §1er, 1°, a, de la loi du 17 juin 2016, dépend non pas du montant estimé mais du montant de la dépense à approuver.

Cela emporte comme conséquence que, bien que le choix de la procédure se fasse, en amont, sur la base du montant estimé du marché – seul montant dont le pouvoir adjudicateur dispose en général à ce stade –, ce dernier ne pourra s’assurer du bien-fondé de ce choix qu’à l’issue de la procédure, en fonction du montant de l’offre économiquement la plus avantageuse déterminée sur la base du ou des critères d’attribution.

Comment réagir dans le cas où le montant de la dépense à approuver atteint ou dépasse 140.000 euros HTVA ? Tout d’abord, ayant mis en œuvre une procédure de marché public permettant la négociation, le premier réflexe du pouvoir adjudicateur devrait être d’ouvrir – ou de poursuivre, le cas échéant – les négociations avec les soumissionnaires, afin de tenter de ramener, dans la mesure des possibilités qu’offre la négociation, le montant de l’offre économiquement la plus avantageuse sous le seuil de 140.000 euros HTVA. Auquel cas, le pouvoir adjudicateur pourra attribuer le marché.

Si les négociations échouent à ramener le montant de l’offre économiquement la plus avantageuse sous le seuil de 140.000 euros HTVA, ou si la faculté de négocier ne peut opportunément pas être mise en œuvre, le pouvoir adjudicateur n’aura d’autre choix que de renoncer à l’attribution du marché et de le relancer ultérieurement, le cas échéant, selon une autre procédure de passation de marché ou sur la base d’un cahier spécial des charges remanié.

Nous insistons sur le fait que le choix du pouvoir adjudicateur de recourir à la PNSPP sur la base de l’article 42, §1er, 1)°, a, de la loi ne lie en aucune manière les soumissionnaires quant à la fixation du montant de leur offre. En effet, une offre remise dans le cadre d’une PNSPP d’un montant égal ou supérieur à 140.000 euros HTVA ne saurait être déclarée irrégulière pour ce seul motif. Dans le même ordre d’idée, si une offre atteignant ou dépassant 140.000 euros HTVA devait – sur la base de multiples critères d’attribution – être reconnue comme l’offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur ne pourrait « éliminer » celle-ci au profit d’une offre classée en seconde position mais dont le montant aurait permis l’attribution en PNSPP[2].

 

II. Incidence du "montant estimé" vs. "montant d'attribution" quant aux règles de compétences des organes décisionnels

Le conseil communal est compétent pour choisir la procédure de passation et fixer les conditions des marchés publics (article L1222-3, §1er, al. 1er, CDLD). Le conseil peut déléguer ces compétences au collège communal, au directeur général, au directeur général adjoint ou à un autre fonctionnaire, à l’exclusion du directeur financier. Dans la plupart des hypothèses de délégation prévues, la faculté de délégation est limitée aux marchés publics d’un montant inférieur à certains seuils financiers.

Concernant les CPAS, le conseil de l’action sociale est compétent pour choisir la procédure de passation, fixer les conditions des marchés publics, engager la procédure, attribuer les marchés, en assurer le suivi de l’exécution et les modifier en cours d’exécution (article 84, §1er, al. 1er, LO CPAS). De la même manière, le conseil de l’action sociale peut déléguer ces compétences au bureau permanent, aux comités spéciaux, au directeur général, au directeur général adjoint ou à un autre fonctionnaire, à l’exclusion du directeur financier. Dans la plupart des hypothèses de délégation prévues, la faculté de délégation est limitée aux marchés publics d’un montant inférieur à certains seuils financiers.

Ces seuils de délégation renvoient-ils au montant estimé ou au montant d’attribution du marché ? Prenons l’exemple suivant :

Un conseil communal a délégué au collège sa compétence de choisir la procédure de passation et de fixer les conditions du marché, pour les dépenses relevant du budget extraordinaire, pour les marchés dont le montant est inférieur à 60.000 euros HTVA.

Sur délégation, le collège approuve le choix de la procédure et fixe les conditions du marché d’un marché public de travaux, relevant du budget extraordinaire, estimé à 55.000 euros HTVA.

L’offre économiquement la plus avantageuse, déterminée conformément au(x) critère(s) d’attribution, s’élève à 62.000 euros HTVA.

La compétence du collège, sur délégation, de choisir la procédure de passation et de fixer les conditions du marché doit-elle être remise en cause, rétroactivement, au moment de l’attribution en raison du dépassement du seuil de délégation par le montant de l’offre retenue ?

Jusqu’à la modification du CDLD et de la LO CPAS par deux décrets du 6 octobre 2022[3], la réponse à cette question devait être trouvée, de manière incidente, dans les travaux préparatoires des décrets du 4 octobre 2018 modifiant pour l’un le CDLD, pour l’autre la LO CPAS[4]. Le commentaire des dispositions relatives aux marchés conjoints précisait qu’« afin de déterminer si les seuils de délégation (…) sont atteints, il convient de se référer au montant total estimé du marché (…) » L’on en déduisait qu’il fallait considérer que l’ensemble des seuils de délégation prévus par le CDLD et la LO CPAS visaient le montant estimé du marché. Sans doute aurait-il été plus opportun de l’indiquer expressément dans le texte même du CDLD et de la LO CPAS.

C’est désormais chose faite. En effet, les décrets du 6 octobre 2022 clarifient la situation : il apparaît désormais clairement dans le texte du CDLD et de la LO CPAS que les seuils de délégations prévus correspondent aux montants estimés des marchés.

Cette clarification, apportée par le législateur, doit être saluée. L’on déduit de celle-ci que lorsque le montant d’attribution du marché est supérieur au montant estimé du marché de manière telle que le seuil fixé pour la délégation est dépassé, la décision prise sur délégation n’est pas remise en cause[5].  

 

III. Montant maximim fixé dans le cahier spécial des charges

Dernier point sur lequel il convient d’être attentif lorsque le montant du ou des offres dépasse les prévisions du pouvoir adjudicateur : ce dernier a-t-il fixé un montant maximum dans les documents du marché ?

Il peut arriver, en effet – et plus particulièrement dans les marchés publics subsidiés – que le pouvoir adjudicateur prévoie, dans les documents du marché, un montant maximum au-delà duquel il ne souhaite pas attribuer le marché. Dans un tel cas, nous conseillons au pouvoir adjudicateur d’ériger le montant maximum comme condition de régularité des offres. En effet, sans préjudice de la possibilité de permettre la régularisation des offres conformément à l’article 76 de l’ARP et de la possibilité de négocier, prévoir l’irrégularité d’une offre supérieure à un montant déterminé permettra au pouvoir adjudicateur d’éviter de devoir renoncer à l’attribution du marché si une telle offre devait s’avérer être l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base de multiples critères d’attribution.

En conclusion, donc, si le pouvoir adjudicateur a fixé, dans les documents du marché, un montant maximum au-delà duquel une offre sera déclarée irrégulière, il conviendra de respecter cette clause, sans préjudice de la possibilité de permettre la régularisation des offres conformément à l’article 76 de l’ARP et de la possibilité de négocier.

 


[1] Le seuil est de 215.000 euros HTVA pour les services de placement et de fourniture de personnel et les services annexes et auxiliaires des transports et pour les marchés de services de recherche et de développement visés à l'article 32, deuxième phrase, de la loi, et ce, uniquement pour les pouvoirs adjudicateurs autres que fédéraux. L’alinéa 2 de l’article 90 de l’AR du 18.04.2017 identifie les codes CPV des marchés concernés. Le seuil de recours à la procédure négociée sans publication préalable est fixé à 100.000 euros HTVA de dépense à approuver pour chacun des lots d'un marché dont le montant estimé du marché n'atteint pas les seuils fixés à l'article 11 (seuils fixés pour la publicité européenne), à condition que le montant cumulé de ces lots ne soit pas supérieur à vingt pour cent du montant estimé du marché.

[2] S’agissant de la phase d’exécution du marché, nous précisons que des modifications apportées à un marché public passé en PNSPP conformément aux hypothèses de modification prévues par l’AR RGE 14.01.2013 et ayant pour conséquence d’augmenter le montant du marché au-delà de 140.000 euros HTVA peuvent être admises.

[3] Décret du 6 octobre 2022 modifiant le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue de simplifier les dispositions relatives aux marchés publics et aux concessions de services et de travaux, M.B., 1.12.2022, p. 88867 ; Décret du 6 octobre 2022 modifiant la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'action sociale en vue de simplifier les dispositions relatives aux marchés publics et aux concessions de services et de travaux, M.B., 24.11.2022, p. 84729

[4] Décret du 4 octobre 2018 modifiant le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en vue de réformer la tutelle sur les pouvoirs locaux, M.B., 10.10.2018, p. 76780 ; Décret du 4 octobre 2018 modifiant certaines dispositions de la loi organique du 8 juillet 1976 des centres publics d'action sociale en vue de réformer la tutelle, M.B., 10.10.2018, p. 76769

[5] Sauf éventuelles autres modalisations des délégations décidées par le conseil.

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Date de mise en ligne
2 Mars 2023

Auteur
Elodie Bavay

Type de contenu

Q/R

Matière(s)

Marchés publics
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