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Mis en ligne le 9 Mars 2023

L’arrêt du 26 juin 2021[1] rendu par le Conseil d’Etat est intéressant à deux égards : d’une part, il condamne l’utilisation d’un (sous-)critère d’attribution portant sur l’octroi d’une ristourne appliquée à un prix inconnu au moment de la comparaison des offres ; d’autre part, il évoque la technique du marché « catalogue » consistant à permettre au pouvoir adjudicateur d’accéder au catalogue de l’adjudicataire, au-delà donc des postes repris à l’inventaire.

Revenons en arrière en résumant les faits ayant conduit à la décision de la haute juridiction.

Un pouvoir adjudicateur lance par procédure ouverte un marché public portant sur la fourniture de denrées alimentaires de viandes fraîches. En guise de critères d’attribution, le pouvoir adjudicateur prévoit notamment celui portant sur le prix, lequel critère est pondéré sur 80 points. Ce critère est lui-même subdivisé en deux sous-critères : d’une part, le prix unitaire des produits (60 points), et d’autre part, la ristourne accordée sur les produits du soumissionnaire « hors marché » (20 points).

Un soumissionnaire ayant proposé 20 % de ristourne et un autre 10 %, obtiennent respectivement 20 et 10 points pour ce sous-critère d’attribution. C’est ce second soumissionnaire, évincé de l’attribution du marché pour quelques points, qui conteste la décision. L’appréciation de ce sous-critère d’attribution est déterminante.

Le soumissionnaire évincé estime d’une part que le sous-critère d’attribution est étranger à l’objet du marché puisqu’il porte sur des éléments « hors marché », non définis, et d’autre part, qu’il n’est pas clair et précis.

Le Conseil d’Etat juge que le sous-critère d’attribution qui vise à apprécier l’importance d’une ristourne sur des fournitures dont le prix n’est pas connu est dépourvu de pertinence puisqu’il n’est pas en mesure d’assurer la comparabilité des offres. Il illustre ses propos : « une ristourne de 20 % sur des prix très élevés peut donner lieu à un prix final supérieur à un prix plus bas sur lequel est appliquée une ristourne de 10 % ».

La haute juridiction condamne ce type de (sous-)critère d’attribution en ce qu’il ne permet pas d’assurer une correcte comparaison des offres.

En outre, le Conseil d’Etat ne paraît pas condamner la pratique du « marché catalogue ». Cette technique, qui n’est pas définie dans la réglementation, présente l’avantage de la souplesse. Elle pourrait être définie comme étant un marché permettant de commander des fournitures non reprises à l’inventaire et issues du catalogue de l’adjudicataire mais comprenant un inventaire non exhaustif et à propos duquel la mise en concurrence aurait lieu[2]. Le marché « catalogue » ici évoqué n’a rien à voir avec la technique du catalogue électronique prévu par la réglementation des marchés publics[3].

La juridiction administrative envisage deux manières d’interpréter les termes « produits hors marché » :

- soit le marché est entendu comme ne portant que sur les fournitures viandes mentionnées en inventaire et ce sous-critère d’attribution n’est alors pas lié à l’objet du marché ;

- soit « le marché porte sur la fourniture de toutes viandes fraîches et produits alimentaires, [l’inventaire] repris dans le cahier des charges ayant pour objectif de comparer les offres » et le sous-critère d’attribution est alors lié à l’objet du marché.

Et le Conseil d’Etat de conclure : « Dans cette [première] hypothèse, la première branche du moyen apparaîtrait sérieuse » ; autrement dit, la juridiction estime que la première façon d’interpréter le sous-critère d’attribution est problématique mais ne dit rien à propos de la seconde manière de le comprendre.

La légalité de la technique du marché « catalogue » pose question depuis un certain nombre d’années. Une certaine doctrine la proscrit, à tout le moins lorsqu’elle consiste à définir un inventaire limité et exemplatif et à avoir accès à tout le catalogue de l’adjudicataire[4].

La Cour des comptes, quant à elle, semble la conseiller dans son récent rapport « Marchés publics de la Défense – Régularité et bonne gestion » adopté le 14 septembre 2022[5] : « Concernant le principe du forfait, la Cour des comptes adresse à la Défense la recommandation suivante : pour les marchés pluriannuels, encadrer les éventuelles évolutions de prix en fixant les paramètres avant l’attribution du marché ; pour les contrats d’entretien, solliciter dans le contrat initial un encadrement des prestations futures au moyen soit d’un pourcentage de réduction sur le catalogue pour les prestations hors inventaire, soit d’un taux horaire et d’une marge définis pour ces prestations ».

Toujours est-il qu’avec l’introduction du concept de clause de réexamen dans la réglementation belge des marchés publics[6], il nous semble que la technique du marché « catalogue » pourrait avoir une assise réglementaire, pour peu qu’elle soit suffisamment encadrée. En effet, la clause de réexamen permet de « prévoir ce qui n’a pas été prévu ».

Si le pouvoir adjudicateur parvient à recenser tous ses besoins actuels et à les formaliser au sein d’un inventaire, mais que dans le même temps, il craint d’avoir besoin de puiser au-delà de son inventaire dans le catalogue de l’adjudicataire pour un besoin non (suffisamment) prévisible au moment d’élaborer son inventaire, il pourrait encadrer ces besoins supplémentaires via une clause de réexamen.

Pour ce faire, la clause devra répondre au prescrit de l’article 38 des RGE :

- avoir été prévue dans les documents du marché initial ;

- être claire, précise et univoque ;

- indiquer le champ d'application et la nature des modifications possibles ainsi que les conditions dans lesquelles il peut en être fait usage ;

- par ailleurs, la clause de réexamen ne peut pas permettre de modifications qui changeraient la nature globale du marché ou de l'accord-cadre.

Ainsi, le pouvoir adjudicateur pourrait :

- introduire dans l’inventaire un poste reprenant une somme maximale dédiée à ces fournitures non détaillées dans l’inventaire mais bien reprises dans le(s) catalogue(s) de l’adjudicataire ;

- limiter cette somme au strict minimum pour éviter un changement de la nature globale du marché ;

- inclure cette somme dans l’estimation ;

- indiquer que les fournitures non inventoriées du/des catalogue(s) font partie de l’objet du marché et que le pouvoir adjudicateur peut y recourir en cas de besoin ;

- prévoir dans les documents de marché que les soumissionnaires joindront à leurs offres leur(s) catalogue(s) et que ceux-ci feront partie des documents contractuels des parties, le(s) catalogue(s) de l’adjudicataire formant avec l’inventaire l’ensemble des fournitures que peut commander le pouvoir adjudicateur et que l’adjudicataire doit livrer.

Une telle clause de réexamen, comprenant une somme maximale, s’apparenterait alors en fait à une somme à justifier, qui ne dispose pas non plus d’assise légale ou réglementaire précise.

Il reste à déterminer la manière dont sera fixé le prix des fournitures présentées dans le(s) catalogue(s) mais non répertoriées dans l’inventaire du pouvoir adjudicateur. Ces fournitures n’étant pas nommément et individuellement reprises dans l’inventaire du pouvoir adjudicateur, l’adjudicataire n’y a pas indiqué son prix. Le pouvoir adjudicateur pourrait alors « contractualiser » les prix des fournitures de ce catalogue, non repris en inventaire, c’est-à-dire faire engager l’adjudicataire à respecter les prix de son/ses catalogue(s), le cas échéant en y appliquant une ristourne proposée dans l’offre ou imposée dans le cahier des charges, mais sans que cette ristourne ne devienne un critère d’attribution.

A notre connaissance, il n’existe pas (encore) de jurisprudence sur la validité des clauses de réexamen de sorte que l’appréciation de leurs conditions de mise en œuvre reste délicate. Sans doute parce que le recours à une clause de réexamen s’opère durant l’exécution du marché public et que les soumissionnaires évincés ne scrutent pas nécessairement l’exécution du marché et ses modifications, les décisions de jurisprudence portant sur la mise en œuvre d’une clause de réexamen au sens de l’article 38 des RGE se font rares. Nous ne pouvons donc pas préjuger de l’avis positif ou négatif d’une juridiction, voire de l’autorité de tutelle, à propos de la clause ici suggérée mais celle-ci a au moins le mérite d’encadrer une pratique largement connue au sein des pouvoirs adjudicateurs.

 


[1] C.E., 26.6.2021, n°251.143.

[2] Cette définition est inspirée de celle de B. Anselme et J.-M. Wolter in « Guide des bonnes pratiques en matière d’accords-cadres », in Jaarboek Overheidsopdrachten 2019-2020 / Chronique des Marchés Publics 2019-2020, 1e édition, Bruxelles, EBP Consulting, 2020, p. 947, point 28.

[3] L. 17.6.2016 relative aux marchés publics, art. 46, et A.R. 18.4.2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques, art. 112 et s.

[4] B. Anselme et J.-M. Wolter, v. supra, p. 946, point 27.

[5] https://www.ccrek.be/Docs/2022_32_MarchesPublicsDefense.pdf

[6] A.R. 14.1.2013 établissant les règles générales d'exécution des marchés public, art. 38, article introduit par A.R. 22.6.2017 modifiant A.R. 14.1.2013 établissant les règles générales d'exécution des marchés publics et des concessions de travaux publics et fixant la date d'entrée en vigueur de la L. 16.2.2017 modifiant L. 17.6.2013 relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics et de certains marchés de travaux, de fournitures et de services.

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Date de mise en ligne
9 Mars 2023

Type de contenu

Q/R

Matière(s)

Marchés publics
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