Les communes et les zones de police font appel à des services de dépannage pour enlever et entreposer certains véhicules : sagit-il d’un marché public ou d’une concession de services ?
Lorsqu’une commune ou une zone de police fait appel à des services de dépannage pour l’enlèvement et l’entreposage de véhicules, doit-elle procéder à une mise en concurrence via un marché public ou une concession de services ? Le Conseil d’Etat a tranché en faveur de la qualification de marché public dans un récent arrêt rendu le 2 septembre 2020[1].
Commençons par résumer les faits de l’affaire.
Une zone de police bruxelloise lance un marché public relatif à l’enlèvement et l’entreposage de véhicules sur demande de la zone en recourant à une procédure ouverte avec publicité européenne. Les deux lots du marché public sont attribués à un même adjudicataire. Un soumissionnaire évincé intente un recours et conteste la qualification de l’opération. Pour ce faire, il se base notamment sur les éléments suivants :
- pour certaines catégories de véhicules, les documents de marché prévoient que le dépannage a lieu « sans frais », c’est-à-dire sans frais pour la zone de police ou pour le propriétaire du véhicule, et que par conséquent les frais de dépannage sont inclus dans les frais de dépannage des autres catégories de véhicule ; à l’inverse, pour les autres catégories de véhicule, les frais de dépannage sont à charge de leur(s) propriétaire(s) ;
- la société de dépannage effectue elle-même le recouvrement des frais de dépannage et d’entreposage des véhicules ;
- la société de dépannage ne dispose d’aucun droit de rétention sur les véhicules lorsque la police autorise leur(s) propriétaire(s) à les récupérer, de sorte que la restitution du véhicule n’est pas subordonnée au paiement des frais de dépannage et d’entreposage ;
- la société de dépannage est responsable des dégâts aux véhicules lors de l’enlèvement et de l’entreposage.
Le soumissionnaire évincé en conclut que le cocontractant de la zone de police supporte le risque d’exploitation, d’une part, en se faisant payer par les propriétaires des véhicules et, d’autre part, en supportant les risques liés à l’absence de paiement ou d’insolvabilité des propriétaires. Il estime que l’opération doit alors être qualifiée de concession de services.
Le Conseil d’Etat refuse cette qualification : « l’importance qu’accordent les requérantes à l’existence d’un transfert de risque, comme critère de distinction entre le marché public de services et la concession de services, ne peut faire perdre de vue ce qui suit : le transfert de risque susceptible d’être pris en considération pour distinguer le marché public de services de la concession de services est celui qu’« implique » le droit d’exploitation du service concédé, droit que le considérant 18 [de la directive 2014/23/UE] identifie précisément comme la principale caractéristique de la concession, le transfert de risque n’étant présenté que comme une conséquence de cette caractéristique. (…) [L]a concession de services apparaît être un mode de gestion de services que l’autorité a vocation à offrir à un public d’usagers pour répondre aux besoins de ceux-ci, mais qu’elle choisit d’« externaliser » en attribuant à un opérateur économique sa gestion, moyennant l’octroi d’un droit d’exploitation qui expose son bénéficiaire à des risques liés notamment à la demande des usagers des services concernés ».
Le Conseil d’Etat constate que l’objet du contrat consiste en prestations de services d’enlèvement et d’entreposage de véhicules pour les besoins de la zone de police et ce, exclusivement à la requête de celle-ci. Il estime qu’il n’y a donc pas de gestion de services par le dépanneur, donc pas d’exploitation de services par lui et qu’enfin ne peut être identifié un risque d’exploitation qui aurait été transféré à l’opérateur économique. Il importe peu donc que finalement le dépanneur se fasse rémunérer par les propriétaires des véhicules et qu’il supporte les risques liés au non-paiement.
Pour le dire autrement, ce n’est pas parce qu’il y a une rémunération par des tiers au contrat (ici les propriétaires des véhicules) ou parce qu’il y a un risque quant à la rémunération du cocontractant (ici le dépanneur) par ces tiers qu’il y a nécessairement concession de services. Le critère déterminant permettant de qualifier le contrat de concession de services reste celui du transfert d’exploitation et du risque l’accompagnant du pouvoir adjudicateur vers le cocontractant. Si le cocontractant agit sur ordre du pouvoir adjudicateur, il ne dispose pas de la liberté indispensable pour considérer qu’il exploite un service au profit des besoins du pouvoir adjudicateur.
[1] C.E., n°248.196, 2.9.2020.
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