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Mis en ligne le 29 Novembre 2022

Avec les difficultés que connaissent actuellement les entreprises, il n’est malheureusement pas étonnant que certaines tombent en faillite. Lorsque ces entreprises œuvrent au profit de pouvoirs adjudicateurs, c’est l’exécution de plusieurs – voire de nombreux – marchés publics qui est mise à mal. Que peut faire un pouvoir adjudicateur face à la faillite de son adjudicataire ?

Première précaution : l’on n’évoquera ici que les marchés publics en cours d’exécution, c’est-à-dire les marchés publics entrés dans leur phase d’exécution par la conclusion du marché[1]. Nous renvoyons le lecteur à une précédente question-réponse abordant le cas de la réorganisation judiciaire survenant avant la conclusion du marché, question-réponse dont la solution est applicable par analogie au cas de la faillite[2].

Ceci étant dit, constatons tout d’abord que la faillite ne met pas fin automatiquement aux contrats. Le contrat survit donc en principe à la mise en faillite de l’adjudicataire. Toutefois, pratiquement, les entreprises en difficulté financière telle qu’elles finissent par être admises en faillite peinent à démarrer ou à poursuivre l’exécution du marché public.

Le Code de droit économique[3] prévoit en son article XX.139 :

« § 1er. Les curateurs décident sans délai, dès leur entrée en fonction, s'ils poursuivent les contrats conclus avant la date du jugement déclaratif de faillite et auxquels ce jugement ne met pas fin automatiquement, ou s'ils les résilient unilatéralement lorsque l'administration de la masse le requiert nécessairement (…).

Le cocontractant peut mettre les curateurs en demeure de prendre cette décision dans les quinze jours. Sous réserve d'une prorogation amiable, si les curateurs n'ont pris aucune décision expresse avant l'expiration de ce délai, le contrat est considéré comme étant résilié (…).» (nous soulignons).

Le pouvoir adjudicateur devrait entrer en contact, même informellement, avec le(s) curateur(s) pour connaître sa/leur position quant à la possibilité de débuter/poursuivre l’exécution ou de céder le marché public.

Quoi qu’il en soit, si le curateur ne résilie pas explicitement ou implicitement le contrat, ou si le pouvoir adjudicateur ne met pas le curateur en demeure de décider, plusieurs possibilités s’offrent au pouvoir adjudicateur[4].

1re solution : résiliation unilatérale pour faillite

Lorsque les règles générales d’exécution sont ou ont été rendues applicables au marché public concerné, le pouvoir adjudicateur pourra faire usage de la faculté que lui réserve l’article 62, al. 1er, 1°, de l’arrêté royal établissant les règles générales d’exécution des marchés publics[5]. Selon cette disposition, le pouvoir adjudicateur peut résilier le marché lorsque l’adjudicataire présente un des motifs d’exclusion tels que visés aux articles 67 à 69 de la LMP et aux articles 61 à 63 de l’ARP.

Parmi les motifs d’exclusion visés, relevons le motif d’exclusion facultative ayant trait à l’état de faillite[6].

Il n’est donc pas requis un défaut d’exécution dans le chef de l’adjudicataire en faillite pour pouvoir résilier le marché.

Constatons que l’article 62 de l’ARE ne distingue pas selon le type de procédure de passation ou l’éventuelle non-application de ce motif d’exclusion au marché considéré au stade de la passation du marché : le pouvoir adjudicateur peut résilier si l’adjudicataire tombe en faillite même si, au stade de la passation, il n’aurait pas pu l’exclure du fait de cet état de faillite[7].

Relevons aussi que la résiliation n’est que facultative, le pouvoir adjudicateur n’ayant pas l’obligation de résilier le marché public.

Conformément à l’article 63 de l’ARE, le marché est liquidé en l'état où il se trouve sur la base des prestations effectuées à la date de la résiliation. Il est d’usage de convoquer l’adjudicataire pour procéder à un état des lieux contradictoire.

Disons-le d’emblée, cette première solution offre deux avantages non négligeables : sa rapidité et sa simplicité. Tenu par un délai strict pour l’octroi de ses subsides ou par des impératifs de services publics, le pouvoir local aura intérêt à considérer la résiliation unilatérale comme providentielle s’il souhaite voir sa commande menée à bien rapidement… le cas échéant, par un autre opérateur économique.

Si ce qu’il reste à exécuter ne peut pas être géré en interne par le pouvoir adjudicateur ou via un autre marché public déjà conclu (via modification admissible de ce dernier par exemple) et si le pouvoir adjudicateur souhaite poursuivre l’exécution du projet initial, il faudra relancer une nouvelle procédure, le marché public initial étant résilié[8]. L’on ne peut donc pas s’adresser au soumissionnaire second mieux classé. Compte tenu de la conclusion du marché, la procédure de marché public a donné ce qu’elle avait à donner, la résiliation entraînant l’extinction de la procédure de marché public.

2e solution : mesures d’office dont la résiliation unilatérale pour faute[9]

Lorsque l’adjudicataire, compte tenu de ses difficultés financières et/ou de sa mise en faillite, ne s’exécute pas/plus ou s’exécute mal, le pouvoir adjudicateur peut envisager de passer aux mesures d’office.

Définie comme une « sanction applicable à l'adjudicataire en cas de manquement grave dans l'exécution du marché »[10], la mesure d’office se décline en trois possibilités :

- la résiliation unilatérale pour faute

- l’exécution en gestion propre

- la conclusion de marché(s) pour compte avec un ou plusieurs tiers[11].

Sans entrer dans les détails des formalités inhérentes aux mesures d’office, l’on retiendra essentiellement que le passage à l’une des mesures d’office est plus chronophage et énergivore que la solution précédente. En effet, outre la nécessité de dresser un procès-verbal de manquement où il échet de motiver l’existence d’un manquement grave à une obligation, il faudra encore attendre un délai de 15 jours avant de prononcer la mesure d’office, moyennant, le cas échéant, réponse motivée aux moyens de défense soulevés par l’adjudicataire.

Par ailleurs, si en cas de résiliation unilatérale pour faute, l’ARE prévoit que la totalité du cautionnement est acquise de plein droit à l’adjudicateur à titre de dommages et intérêts forfaitaires[12], l’on constate pratiquement que les pouvoirs adjudicateurs n’en bénéficient que trop rarement[13].

Comme en cas de résiliation unilatérale pour faillite, la mise en œuvre de la résiliation unilatérale pour faute ou de la conclusion de marché(s) pour compte, le pouvoir adjudicateur devra relancer une nouvelle procédure de passation de marché public aux fins de poursuivre ou débuter l’exécution du marché.

Il est à noter que d’aucuns conseillent la mise en œuvre de marché(s) pour compte ou d’exécution en gestion propre lorsque le marché affecté par la faillite de l’adjudicataire est en phase finale.

3e solution : cession de marché

La cession de marché est définie comme suit : « convention par laquelle un adjudicataire cédant se substitue un entrepreneur, fournisseur ou prestataire de services cessionnaire ou par laquelle un adjudicateur cédant se substitue un adjudicateur cessionnaire »[14].

En un mot comme en cent, l’adjudicataire initial, en faillite, est remplacé par un nouvel adjudicataire qui « rachète » le marché public.

A nouveau, avant d’envisager la cession de marché, le pouvoir adjudicateur vérifiera l’application de l’ARE qui règle ce mécanisme de remplacement d’adjudicataire.

A défaut d’application de l’ARE, il conviendra de vérifier l’éventuelle application de clauses (de réexamen) ayant trait à cette situation. En effet, la cession de marché, ou dit autrement « le remplacement d’adjudicataire », est considéré comme une modification, admissible à des conditions très strictes.

Lorsque l’ARE s’applique, l’on se référera utilement à l’article 38/3 de l’ARE :

« Une modification peut être autorisée sans nouvelle procédure de passation, lorsqu'un nouvel adjudicataire remplace celui auquel l'adjudicateur a initialement attribué le marché :

1° en application d'une clause de réexamen univoque telle que définie à l'article 38;
2° à la suite d'une succession universelle ou partielle de l'adjudicataire initial, à la suite d'opérations de restructuration de société, notamment de rachat, de fusion, d'acquisition ou d'insolvabilité, assurée par un autre opérateur économique qui remplit les critères de sélection établis initialement, à condition que cela n'entraîne pas d'autres modifications substantielles du marché et ne vise pas à contourner les dispositions en matière de marchés publics
 ».

Rares sont les documents de marché qui prévoient une clause de réexamen relative au remplacement d’adjudicataire suite à une faillite, clause faite conformément au 1°. Néanmoins, parmi les hypothèses visées au 2°, est reprise la faillite, sous conditions strictes[15]. A nouveau sans entrer dans les détails de ce mécanisme, l’on pointera les avantages et les inconvénients du remplacement prévu à l’article 38/3, 2°, de l’ARE.

Au rang des avantages, l’on remarquera qu’il n’est pas nécessaire, si les conditions d’utilisation sont respectées, de relancer une nouvelle procédure de passation de marché public, contrairement aux deux autres solutions. Si repreneur il y a, la cession peut être une solution plutôt rapide. En cas contraire, la solution pourrait prendre beaucoup de temps. Il est donc judicieux de contacter le curateur pour connaître les possibilités et intentions de cession.

Côté inconvénients, on constatera les conditions très strictes de mise en œuvre de cette solution.

Une dernière question subsiste : que faire des paiements ?

Sans préjudice d’éventuelle(s) action(s) directe(s) mise(s) en œuvre par un ou plusieurs sous-traitants, d’éventuelle(s) retenue(s) au profit de l’ONSS ou du fisc et d’une éventuelle cession de créance valablement faite, le pouvoir adjudicateur procédera au paiement des factures au profit du curateur, le failli étant dessaisi de l’administration de tous ses biens[16].


[1] Voyez les différentes manières de conclure un marché public : art. 88 et 95 de l’A.R. du 18.4.2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques, M.B., 9.5.2017 ; ci-après l’ARP.

[2] https://www.uvcw.be/marches-publics/vos-questions/art-1250; l’article 61, § 2, 2°, de l’A.R. du 15.7.2011 est devenu l’article 69, al. 1er, 2°, de la L. du 17.6.2016 relative aux marchés publics, M.B., 14.7.2016 ; ci-après la LMP.

[3] Ci-après le CDE.

[4] Pour un aperçu plus complet des impacts de la faillite sur l’exécution des marchés publics : circulaire du 14.7.2014 de la Région de Bruxelles-Capitale, destinée aux pouvoirs locaux bruxellois, relative aux conséquences pour leurs marchés publics de la faillite d'un soumissionnaire ou d'un adjudicataire. Voyez aussi : F. Vlassembrouck et Y. Laghmiche, « Faillite, réorganisation judiciaire et action directe du sous-traitant dans les marchés publics », in Jaarboek Overheidsopdrachten 2020-2021 / Chronique des Marchés Publics 2020-2021, 1e édition, Bruxelles, EBP Consulting, 2021, pp. 983-997.

[5] A.R. du 14.1.2013 établissant les règles générales d’exécution des marchés publics, M.B., 14.2.2013 ; ci-après l’ARE.

[6] Art. 69, al. 1er, 2°, de la LMP ; ci-après la LMP.

[7] En effet, au stade de la passation du marché, le motif d’exclusion facultative n’est pas obligatoirement applicable en procédure négociée sans publication préalable sous les seuils de publicité européenne : art. 42, § 3, al. 1er, 1°, de la LMP.

[8] Le cas échéant en invoquant, moyennant motivation adéquate, l’urgence impérieuse résultant d’évènements imprévisibles pour justifier le recours à la procédure négociée sans publication préalable (LMP, art. 42, § 1er, 1°, b) ) ou une urgence simple pour raccourir les délais de publicité (par exemple, en procédure ouverte : LMP, art. 36, § 3).

[9] Pour autant que les dispositions soient ou aient été rendues applicables au marché public considéré.

[10] ARE, art. 2, 14°.

[11] ARE, art. 47.

[12] ARE, art. 47, § 2, 1°.

[13] En raison des incertitudes juridiques entourant la situation de concours découlant de l’était de faillite ou de refus systématiques des sociétés de cautionnement collectif de libérer le cautionnement au profit du pouvoir adjudicateur.

[14] ARE, art. 2, 9°.

[15] Pour une illustration jurisprudentielle : C.J.U.E., C-461/20, 3.2.2022.

[16] CDE, art. XX.110.

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Date de mise en ligne
29 Novembre 2022

Type de contenu

Q/R

Matière(s)

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