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Mis en ligne le 22 Mai 2024

Le 13 mars 2024, le législateur fédéral a adopté une loi sur la motivation des licenciements des travailleurs contractuels du secteur public et sur les licenciements manifestement déraisonnables[1]

Cette loi, attendue depuis 10 ans, répond à l’exigence inscrite dans la loi du 26 décembre 2013 sur le statut unique[2], visant à harmoniser les dispositions relatives au licenciement entre le secteur privé et le secteur public.

Outre la question de la motivation, la loi aborde également la procédure d'audition préalable du travailleur, suscitant ainsi un examen approfondi de ses implications juridiques et pratiques.

Dans cet article, nous analyserons les différents aspects de cette nouvelle législation, en tenant compte à la fois des développements jurisprudentiels et doctrinaux antérieurs et des incertitudes persistantes quant à son application.

L’Union des Villes et Communes de Wallonie organise par ailleurs un Webinaire consacré au sujet, le 24 juin 2024. Plus d’informations et inscriptions en suivant ce lien.

Contexte

A la lecture de l’exposé des motifs de la loi du 13 mars 2024 sur la motivation des licenciements et des licenciements manifestement déraisonnables des travailleurs contractuels du secteur public, il apparaît que l’objectif est de « se conformer à l’article 38, 2° de la loi du 26 décembre 2013 concernant l’introduction d’un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d’accompagnement et d’établir un cadre juridique à la motivation du licenciement des travailleurs contractuels dans le secteur public »[3].

On se souviendra, et on y reviendra ultérieurement, que l’article 38, 2° de la loi du 26 décembre 2013 prévoyait que la disposition relative au licenciement abusif des ouvriers[4] cesserait de s’appliquer dès qu’une convention collective sur la motivation du licenciement serait adoptée pour le secteur privé ainsi qu’un régime analogue pour le secteur public.

Alors que le Conseil National du Travail concluait une convention collective du travail concernant la motivation du licenciement dès le 12 février 2014 (CCT n°109), le régime analogue pour le secteur public s’est fait attendre.

On constate donc d’emblée qu’à l’origine, cette loi avait pour vocation de traiter uniquement de la question de la motivation du licenciement et du licenciement déraisonnable, comme cela ressort d’ailleurs de son intitulé, mais qu’une disposition sur l’audition préalable a été ajoutée au projet de loi au cours du processus de rédaction.

Champ d’application

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de s’attarder en quelques lignes sur le champ d’application de la loi du 13 mars 2024.

En vertu de son article 2, la nouvelle loi s’applique aux travailleurs sous contrat de travail dont l’employeur ne relève pas du champ d’application de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives et les commissions paritaires.

Elle s’applique donc aux pouvoirs locaux à l’exception des sociétés de logement de service public (SLSP).

Par ailleurs, la loi ne s’applique pas à ces travailleurs lorsqu’ils sont licenciés[5] :

  • durant les six premiers mois d’occupation, étant entendu que les contrats antérieurs successifs à durée déterminée ou de travail intérimaire pour une fonction identique chez le même employeur doivent être pris en compte pour le calcul des six premiers mois ;
  • durant un contrat intérimaire ;
  • durant un contrat d’occupation d’étudiants ;
  • en vue de mettre fin au contrat de travail à durée indéterminée à partir du premier jour du mois qui suit celui au cours duquel le travailleur atteint l’âge légal de la pension ;
  • pour motif grave.

Il est également précisé que la loi ne s’applique pas aux travailleurs faisant l’objet d’un licenciement pour lequel l’employeur doit suivre une procédure spéciale de licenciement fixée par ou en vertu d’une norme législative[6].

Les exclusions du champ d’application qui sont manifestement issues de la CCT n°109 ne manqueront pas de susciter des questions dans la mise en application de la loi particulièrement quant à l’obligation d’audition. Nous y reviendrons. 

L’audition préalable des agents contractuels

L’article 3 de la nouvelle loi réglemente la question de l’obligation dans le chef de l’autorité publique d’auditionner préalablement les travailleurs contractuels avant de procéder à leur licenciement.

Avant d’analyser la portée de cette nouvelle obligation légale, il est important de rappeler le contexte antérieur de la réglementation, de la jurisprudence et de la doctrine quant à ce principe de l’audition préalable.

Rétroactes d’une question longtemps controversée

La question de la nécessité pour les employeurs publics d'entendre les travailleurs avant leur licenciement a été tranchée par deux arrêts de la Cour constitutionnelle en 2017 et 2018.

Pour rappel, la controverse découlait de la coexistence, parfois difficile, entre la nature contractuelle de la relation de travail régie par la loi du 3 juillet 1978 laquelle ne prévoit aucune procédure préalable au licenciement et les principes de bonne administration auxquels sont tenues les autorités publiques. Parmi les principes de bonne administration, le principe audi alteram partem a pour objectif de permettre à l’autorité de prendre une décision en connaissance de cause et implique qu’une autorité publique a l’obligation d’entendre la personne intéressée avant de prendre une mesure grave à son égard, en particulier lorsque cette décision est liée à sa personne ou à son comportement. 

La question était donc de savoir si l’employeur public qui envisage de licencier un travailleur contractuel est tenu d’appliquer le principe administratif d’audition préalable.

Par un arrêt du 12 octobre 2015[7], la Cour de cassation a estimé qu’aucune obligation d’audition n’était prévue dans la loi du 3 juillet 1978 et qu’en conséquence, une autorité publique ne devait pas auditionner préalablement un agent contractuel pour procéder à son licenciement[8].

Malgré cet arrêt, une partie de la doctrine et de la jurisprudence continuaient néanmoins de penser que les autorités publiques étaient tenues de respecter les principes de bonne administration également à l’égard des agents contractuels[9].

C’est finalement la Cour constitutionnelle qui va mettre un terme à la controverse par deux arrêts successifs.

Le premier arrêt intervient le 6 juillet 2017. La Cour constitutionnelle, sur questions préjudicielles posées par le Tribunal du Travail de Bruxelles, considère « que les articles 32, 3°, et 37, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978 précitée, interprétés comme autorisant une autorité publique à licencier un travailleur avec lequel elle a conclu un contrat de travail pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement, sans être tenue d’entendre préalablement ce travailleur, ne sont pas compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution »[10].

Dans cette affaire, la Cour reconnaît d’emblée que les agents statutaires et les agents contractuels sont dans des situations juridiques fondamentalement différentes par les règles qui régissent la relation de travail. En revanche, il n’apparaît pas, selon la Cour, que l’employé d’une autorité publique qui reçoit son congé soit dans une situation différente quant à l’exercice du droit découlant du principe général de bonne administration audi alteram partem selon qu’il ait été recruté comme agent statutaire ou comme agent contractuel.

Le deuxième arrêt intervient le 22 février 2018 dans un litige relatif à un licenciement pour motif grave. Dans cette hypothèse particulière, le délai de trois jours ouvrables à partir de la connaissance suffisante des faits endéans lequel le licenciement pour motif grave doit être notifié, en vertu de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978, représente, selon le Conseil des ministres, un obstacle à l’application du principe de l’audition préalable.

La Cour considère pourtant, dans le cadre de cette affaire, « que l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 précitée, interprété comme autorisant une autorité publique à licencier un travailleur, avec lequel elle a conclu un contrat de travail, pour des motifs graves liés à sa personne ou à son comportement, sans être tenue d’entendre préalablement ce travailleur, n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution »[11].

Elle confirme donc l’obligation de respecter le principe audi alteram partem en ce compris dans l’hypothèse d’un licenciement pour motif grave en rappelant, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation[12], que le délai de trois jours ne commence à courir qu’à partir du moment où l’autorité compétente pour prendre la décision a une connaissance suffisante des faits justifiant le licenciement, soit à partir de l’audition du travailleur.

A travers ces deux arrêts, la Cour a ainsi rappelé le rôle particulier des autorités publiques, gardienne de l’intérêt général, ce qui entraîne qu’elles doivent statuer en pleine connaissance de cause.

Contours de l’obligation prétorienne

Depuis 2018, il est ainsi admis que le principe de droit audi alteram partem impose à l’autorité publique d’entendre préalablement la personne à l’égard de laquelle est envisagée une mesure grave pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement.

Il découle de ce principe que le travailleur doit être informé préalablement à l’audition de la décision envisagée à son encontre et des motifs la justifiant, qu’il a eu, le cas échéant, accès au dossier administratif, qu’il a eu suffisamment de temps pour préparer ses moyens de défense et qu’il a l’occasion, le cas échéant, de se faire assister ou représenter lors de l’audition[13].

En revanche, le principe de l’audition préalable n’impose notamment pas, selon le Conseil d’Etat, « qu'une audition ait nécessairement lieu dès lors que l'agent peut valablement faire valoir ses observations par écrit, ni que l'autorité compétente pour prendre la décision finale procède elle-même à l'audition, le cas échéant, ni qu'elle réponde à l'intégralité des arguments invoqués par l'agent, ni qu'un procès-verbal de l'audition soit dressé »[14].

Sanction en cas de non-respect

Les juridictions du travail considèrent majoritairement depuis les deux arrêts de la Cour constitutionnelle qu’il pourrait être reproché à l’employeur public qui ne respecte pas son obligation d’audition préalable d’avoir commis une faute. Cette faute ne pourra, en principe, pas conduire un juge à constater la nullité de la décision de licenciement. Il n’est donc pas question de réintégration. Au mieux, ce dernier pourra obtenir une indemnisation de son préjudice, si préjudice il y a et s’il est établi. On constate que le préjudice allégué par le travailleur est généralement un préjudice moral ou un préjudice qui consiste en la perte d’une chance de conserver son emploi[15].

Consécration d’une obligation légale

La loi du 13 mars 2024 précitée, spécifiquement son article 3, alinéa 1er, prévoit désormais une obligation légale dans le chef de l’employeur public d’inviter préalablement le travailleur à être entendu et à recueillir ses explications concernant les faits et les motifs de la décision de licenciement envisagée.

Le travailleur doit avoir connaissance au préalable des faits qui lui sont reprochés et disposer d’un délai suffisant pour préparer utilement son audition ou formuler ses observations écrites.

Le législateur fédéral érige donc en obligation légale le fait d’entendre préalablement le travailleur contractuel à l’égard duquel un licenciement est envisagé pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement.

Le législateur précise que cette obligation d’audition est justifiée « par le fait que les employeurs publics ne sont pas seulement tenus de respecter les dispositions impératives du droit du travail, comme tout employeur, mais qu’ils doivent aussi agir en tenant compte des principes de bonne administration et des règles constitutionnelles. Ainsi, ils sont tenus de garantir l’égalité de traitement, les principes de non-discrimination, la neutralité, la transparence de leurs actes, la motivation formelle des actes administratifs, etc. »[16]

Quant à la sanction en cas de non-respect de cette nouvelle obligation légale, le législateur prévoit une indemnité correspondant à deux semaines de rémunération tout en précisant que la notification du congé reste néanmoins valable.

Des nouvelles incertitudes

En principe, une obligation légale prime sur un principe général du droit. Par conséquent, il faudrait considérer que le principe audi alteram partem ne devrait plus trouver à s’appliquer lorsqu’un licenciement est envisagé.

Mais la loi exclut de son champ d’application les licenciements pour motif grave et les licenciements des travailleurs occupés depuis moins de six mois. Il en découle que pour ces hypothèses, l’employeur public n’a pas d’obligation légale d’entendre préalablement le travailleur qu’il envisage de licencier.

Peut-on également considérer dans ce cadre que le principe de bonne administration audi alteram partem ne trouve plus à s’appliquer ? A ce stade, on ne peut malheureusement pas l’affirmer.

Ces exclusions suscitent déjà de nombreux commentaires quant à savoir si la jurisprudence antérieure relative à l’audition préalable au licenciement du travailleur contractuel doit continuer à s’appliquer aux hypothèses du motif grave et du travailleur ayant une ancienneté inférieure à six mois.

?Par conséquence, l’UVCW a interpellé la Vice-Première Ministre, Petra De Sutter, par un courrier du 19 avril 2024 afin que la volonté du législateur soit précisée. La Vice-Première Ministre confirme que "cette exclusion n’a pas pour effet d’écarter la jurisprudence antérieure de la Cour constitutionnelle et les principes de bonne administration applicables à ces cas spécifiques".  

Par ailleurs, certaines notions ne sont pas précisées ou définies par la loi du 13 mars 2024. A titre d’exemple, il est imposé à l’employeur de laisser au travailleur un délai raisonnable pour préparer utilement ses observations sans précision sur ce qu’il faut entendre par délai raisonnable. De même, la nouvelle loi ne précise pas ce qu’il convient d’entendre par « employeur ». Quel est l’organe compétent pour auditionner le travailleur ? Doit-on considérer que c’est nécessairement l’organe compétent pour prendre la décision de licenciement qui doit auditionner le travailleur alors que le Conseil d’Etat admettait que le travailleur soit auditionné par la direction générale pour autant qu’un rapport de cette audition soit communiqué à l’organe compétent ?

Enfin, la loi ne dit rien quant à l’attitude que doit adopter l’autorité lorsque le travailleur, bien que valablement convoqué, ne se présente pas à l’audition en justifiant ou non son absence.

Alors que l’objectif était de clarifier l’obligation des employeurs publics quant à l’audition préalable, force est de constater que le flou juridique subsiste. 

La motivation formelle du licenciement

La question de la motivation du licenciement d’un agent contractuel du secteur public a également fait couler beaucoup d’encre.

Précisons avant toute chose que lorsqu’il est question d’une controverse quant à la motivation d’une décision de licenciement prise par une autorité publique, il est fait référence à la motivation formelle de la décision et non à la motivation substantielle. En effet, il n’est pas contesté qu’une décision de licenciement d’un travailleur contractuel doit être fondée sur une motivation adéquate, sur des éléments objectifs d’ordre organisationnels ou liés au comportement de l’agent[17]. La question qui se pose est celle de savoir si la motivation de la décision doit figurer dans la délibération de l’autorité et portée à la connaissance du travailleur licencié.

D’un côté, la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ne prévoit aucune d’obligation de motivation du licenciement dans le chef de l’employeur, à l’exception de certaines hypothèses (notamment le licenciement pour motif grave[18]).

D’un autre côté, la question se posait de savoir si la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation formelle des actes administratifs[19] imposait à une autorité publique de motiver la décision de licenciement prise à l’égard d’un travailleur contractuel.

Une partie de la doctrine considérait que l’employeur public, en tant qu’autorité administrative, avait l’obligation de motiver formellement la décision de licenciement en application de la loi du 29 juillet 1991 précitée en indiquant, dans l'acte, des considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision. Une autre partie de la doctrine considérait, a contrario, que la décision de licenciement ne pouvait être qualifiée d’acte administratif au sens de la loi et qu’elle relevait uniquement du champ contractuel et du pouvoir discrétionnaire de l’employeur. Selon ce courant, le licenciement ne devait pas être formellement motivé.

La Cour de cassation a tranché la question en estimant, dans un arrêt du 12 octobre 2015, que « l’arrêt, qui considère que la lettre de licenciement par laquelle la demanderesse a informé le défendeur qu’elle avait décidé de mettre fin au contrat de travail ne satisfait pas à l’obligation de motivation imposée par la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs et conclut sur cette base à l’existence d’une faute dans le chef de la demanderesse, ne justifie pas légalement sa décision »[20]. Elle considère donc que l’autorité publique qui licencie un travailleur contractuel n’est pas tenue de motiver formellement la décision en application de la loi du 29 juillet 1991[21].

Cet arrêt aurait dû mettre un terme aux discussions portant sur la question de la motivation du licenciement, mais celles-ci se sont poursuivies à la suite de l’adoption de la loi du 26 décembre 2013 concernant l’introduction d’un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence, laquelle supprime à terme l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978.

Cet article 63 de la loi sur le contrat de travail mettait en place une protection particulière pour le travailleur ouvrier licencié en disposant que le licenciement non fondé sur l’aptitude ou la conduite du travailleur ou non fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise ou du service devait être qualifié de licenciement abusif. La charge de la preuve incombait à l’employeur qui risquait de se voir condamner au paiement d’une indemnité équivalente à six mois de rémunération. Ce mécanisme avait pour objectif de compenser les délais de préavis plus courts applicables aux travailleurs contractuels.

Or, avec l’harmonisation des délais de préavis, ce dispositif de protection qui ne bénéficiait qu’aux travailleurs ouvriers perdait sa raison d’être. Le législateur de 2013 a donc décidé de supprimer cette disposition dès qu’une convention collective de travail sur la motivation du licenciement serait adoptée pour le secteur privé ainsi qu’un régime analogue pour le secteur public[22].

Dans le secteur privé, la CCT ne s’est pas fait attendre puisque dès le 12 février 2014, le Conseil National du Travail concluait une CCT n° 109 concernant la motivation du licenciement laquelle réglemente également le licenciement manifestement déraisonnable.

Pour le secteur public, en revanche, aucune réglementation ne répondait au prescrit de l’article 38, 2° précité ce qui implique que l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 reste en principe en vigueur.

Par son arrêt n° 187/2014, du 18 décembre 2014, la Cour constitutionnelle a jugé que l’article 63 de la loi relative aux contrats de travail, tel qu’il était applicable avant l’adoption de la loi du 26 décembre 2013, violait les articles 10 et 11 de la Constitution, mais a maintenu les effets de cette disposition jusqu’au 1er avril 2014, date d’entrée en vigueur de la CCT n°109[23].

Par la suite, la Cour constitutionnelle a constaté, dans un arrêt du 30 juin 2016, qu’aucun dispositif similaire à la CCT n°109 n’avait été adopté par le législateur pour les travailleurs contractuels du secteur public, de sorte que l’article 63 précité s’appliquait toujours aux ouvriers ayant conclu un contrat de travail avec les autorités publiques. Ayant déjà constaté l’inconstitutionnalité de l’article 63 de la loi sur le contrat de travail, la Cour précise que « dans l’attente de l’intervention du législateur, il appartient aux juridictions, en application du droit commun des obligations, de garantir sans discrimination les droits de tous les travailleurs du secteur public en cas de licenciement manifestement déraisonnable, en s’inspirant, le cas échéant, de la convention collective de travail n°109. »

Il aura encore fallu quelques années avant que le législateur ne réponde au prescrit de l’article 38, 2° de la loi du 26 décembre 2013 et aux critiques de la Cour constitutionnelle.

Une nouvelle obligation légale

L’article 3 de la loi du 13 mars 2024 prévoit que l’employeur qui décide de licencier un travailleur contractuel devra notifier le congé par écrit et mentionner d’initiative les motifs concrets du licenciement contrairement à ce qui est prévu pour le secteur privé. La notification doit permettre au travailleur de connaître les motifs concrets qui ont conduit à la décision de licenciement.

A défaut de motivation, l’employeur sera redevable d’une indemnité correspondant à deux semaines de rémunération, mais le congé reste valable.

Si l’employeur ne respecte pas l’obligation de motivation du licenciement, il devra en outre établir que le licenciement n’est pas un licenciement manifestement déraisonnable comme expliqué ci-dessous.

Rappelons que cette obligation de motivation d’office de la décision de licenciement n’est pas applicable aux travailleurs engagés depuis moins de six mois, aux travailleurs occupés dans le cadre d’un contrat d’occupation d’étudiant ou un contrat d’intérimaire, aux travailleurs qui ont atteint l’âge de la pension et aux travailleurs licenciés pour motif grave.

Précisons néanmoins quant à ces derniers que l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 prévoit déjà une obligation de motivation.

Le licenciement manifestement déraisonnable

Enfin, la nouvelle loi définit en outre, comme le fait la CCT n°109, ce qu’est un licenciement manifestement déraisonnable. Selon l’article 4, le licenciement manifestement déraisonnable est le « licenciement d’un travailleur engagé pour une durée indéterminée, qui se base sur des motifs qui n’ont aucun lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service, et qui n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable ».

En cas de licenciement manifestement déraisonnable, le législateur prévoit une indemnisation de minimum trois semaines de rémunération à maximum dix-sept semaines de rémunération.

Cette indemnisation ne peut être cumulée avec d’autres indemnités prévues dans le cadre d’une procédure spéciale de licenciement, à l’exception de l’indemnité de deux semaines de rémunération prévue par la même loi en cas d’absence d’audition ou de motivation.

Cette indemnisation ne peut pas non plus être cumulée avec toute autre indemnité due par l’employeur à l’occasion de la fin du contrat de travail, à l’exception d’une indemnité de préavis, d’une indemnité de non-concurrence, d’une indemnité d’éviction ou d’une indemnité complémentaire qui est payée en plus des allocations sociales.

En matière de charge de la preuve, l’article 4 précise qu’il convient de faire application du droit commun de la preuve, tel que défini à l’article 870 du Code judiciaire (« chacune des parties a la charge de prouver ce qu’elle allègue »). Par conséquent, le travailleur qui s’estime victime d’un licenciement manifestement déraisonnable devra pouvoir l’établir devant la juridiction du travail.

En revanche, si l’employeur omet de communiquer les motifs ayant conduit au licenciement d’initiative, la loi prévoit un renversement de la charge de la preuve. Il incombera à l’employeur d’établir que le licenciement n’est pas manifestement déraisonnable.

Enfin, la protection contre le licenciement déraisonnable ainsi instituée pour les travailleurs contractuels de la fonction publique ne s’applique pas aux travailleurs engagés depuis moins de six mois, aux travailleurs occupés dans le cadre d’un contrat d’occupation d’étudiant ou un contrat d’intérimaire, aux travailleurs qui ont atteint l’âge de la pension et aux travailleurs licenciés pour motif grave, ceux-ci étant exclus du champ d’application de la loi du 13 mars 2024. Quant aux travailleurs licenciés pour motif grave, on notera toutefois que l’exclusion s’écarte de ce qui est prévu par la CCT n°109 pour le secteur privé[24].

Conclusion

En conclusion, l'adoption récente de la loi du 13 mars 2024 marque une étape importante dans la réglementation du licenciement des travailleurs contractuels du secteur public, répondant ainsi à une attente de longue date. Cette législation, qui était initialement centrée sur la question de la motivation du licenciement, a également introduit une disposition sur l'audition préalable du travailleur, tentant ainsi de clarifier un point longtemps débattu dans la doctrine et la jurisprudence.

La nouvelle loi établit une obligation claire pour les employeurs publics d'entendre préalablement les travailleurs contractuels avant de procéder à leur licenciement, renforçant ainsi la sécurité juridique et les principes de bonne administration.

Cependant, force est de constater que des incertitudes subsistent quant à l'application de cette obligation dans certains cas spécifiques, tels que les licenciements pour motif grave ou les licenciements intervenant durant les six premiers mois d'occupation.

De plus, certains aspects pratiques de la mise en œuvre de cette nouvelle disposition restent à préciser, notamment en ce qui concerne le délai raisonnable accordé au travailleur pour préparer ses observations et les modalités de l'audition elle-même. Il est donc essentiel de suivre l'évolution de la jurisprudence et il serait nécessaire que des clarifications supplémentaires soient apportées pour assurer une application cohérente et équitable de la loi.

En définitive, cette nouvelle législation constitue une avancée significative, mais elle soulève également des questions et des inquiétudes qui nécessiteront une attention particulière des employeurs publics.                     

 

 


[1] L. 13.3.2024 sur la motivation des licenciements et des licenciements manifestement déraisonnables des travailleurs contractuels du secteur public et audition préalable, M.B., 20.3.2024, p. 33254.

[2] L. 26.12.2013 concernant l’introduction d’un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d’accompagnement, M.B., 31.12.2013, p. 104147.

[3] Projet de loi sur la motivation des licenciements et des licenciements manifestement déraisonnables des travailleurs contractuels du secteur public, Résumé, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2023-2024, n°3554/001, p. 3.

[4] L. 3.7.1978 rel. aux contrats de travail, M.B., 22.08.1978, p. 9277, art. 63.

[5] L. 13.3.2024, art. 2, §2. 

[6] Est visé dans le cadre de cette exclusion notamment le personnel enseignant de l’enseignement libre subventionné soumis à un statut dont la détermination relève de la compétence de la Communauté française.

[7] Cass., 12.10.2015, S.13.0026.N/1, www.juridat.be.

[8] La procédure devant la Cour de cassation, opposant la Ville d’Ostende à un agent contractuel, visait la cassation d’un arrêt de la Cour du Travail de Gand, section de Bruges, qui considérait que le défendeur avait été licencié à tort notamment du chef du non-respect de l’obligation d’audition. La Cour de cassation a constaté que « Les règles relatives à la cessation des contrats de travail à durée indéterminée prévue par ces dispositions légales n'oblige pas un employeur à entendre un travailleur avant de procéder à son licenciement » et a conclu qu’ « Il ne peut être dérogé en vertu d'un principe général de bonne administration à ces règles qui, conformément à l'article 1er, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1978, régissent également les contrats des travailleurs occupés par les communes, qui ne sont pas soumis à un statut. »

[9] S. Gilson, F. Lambinet et Z. Trusgnach, Les obligation particulières de l’employeur public lors du licenciement des travailleurs contractuels, Limal, Anthemis, 2016.

[10] C.C., 6.7.2017, n°86/2017, www.const-court.be.

[11] C.C., 22.2.2018, n°22/2018, www.const-court.be.

[12] Cass., 14.10.1996, Pas., 1996, I, n° 380.

[13] C.E. n° 237.734 du 21.3.2017, Harnisfeger Daniel c./ l'État belge.

[14] C.E. n°236.451 du 18.11.2016, Nondjock Charles c./ Etat belge, C.E. n°256.087 du 21.3.2023, Ville d’Arlon c./ Région wallonne.

[15] Pour une analyse détaillée de la jurisprudence quant à l’évaluation du préjudice, voy. V. Vuylsteke et S. De Somer, « Les garanties procédurales de l’agent contractuel », La discipline dans la fonction publique, Larcier, 2023, p. 304 et s.

[16] Projet de loi sur la motivation des licenciements et des licenciements manifestement déraisonnables des travailleurs contractuels du secteur public, Commentaires des articles, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2023-2024, n°3554/001, p. 9.

[17] V. Vuylsteke et S. De Somer, « Les garanties procédurales de l’agent contractuel », La discipline dans la fonction publique, Larcier, 2023, p. 362.

[18] L’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 prévoit que « Peut seul être invoqué pour justifier le congé sans préavis ou avant l'expiration du terme, le motif grave notifié dans les trois jours ouvrables qui suivent le congé ».

[19] L. 29.7.1991 rel. à la motivation formelle des actes administratifs, M.B., 12.9.1991, p. 19976.

[20] Cass. 12.10.2015, Pas., 2015, I, p. 2314.

[21] La Cour constitutionnelle a été amenée à examiner la question de la non-application de la L.29.7.1991 aux licenciements des contractuels de la fonction publique au regard des art. 10 et 11 de la Constitution, dans le cadre d’une question préjudicielle, et a estimé qu’il n’y avait pas de violation (voy. C.C. n°84/2018 du 5.7.2018, https://www.const-court.be/).

[22] L. 26.12.2013 concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement, M.B., 31.12.2013, p. 104.147, art. 38, 2°.

[23] C.C. n°187/2014 du 18.12.2004, https://www.const-court.be/.

[24] En effet, l’article 2, §4 de la CCT n°109 précise que le chapitre III de la CCT ne s’applique pas lorsque l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 est appliqué. Le chapitre III vise uniquement le droit de connaître les motifs concrets qui ont conduit au licenciement. Le Chapitre IV consacré au licenciement manifestement déraisonnable est néanmoins bien applicable lorsque l’article 35 est appliqué.

Auteur Conseiller(e)(s) / personne(s) de contact
Personnel/RH : Luigi Mendola - Isabelle Dugailliez - Simon Palate - Florence Demoulin - Tanya Sidiras
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Formations - Personnel/RH
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Date de mise en ligne
22 Mai 2024

Date de mise à jour
31 Mai 2024

Type de contenu

Matière(s)

Personnel/RH
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